Chers frères et sœurs,
Dans la vie on a tendance à penser que ceux qu’on aime pensent comme nous. Entre
amis, en famille, on s’étonne parfois que les autres voient les choses différemment.
C’est sûr, vous avez déjà vécu ce genre de conversation où on croit que l’autre pense
la même chose… et en fait non :
– Elle était trop bien son homélie aujourd’hui…
– Quoi ?! Tu as aimé ce truc ?!
– Ben oui, pas toi ?
– Pas du tout, c’était une leçon de morale ! Etc, etc.
Et puis il y a des sujets plus sensibles que d’autres. Du coup, la politique et la religion,
aux repas de famille, on évite.
Avec Dieu, c’est pareil… c’est même pire. On croit qu’il pense toujours comme
nous, alors qu’en réalité, c’est rarement le cas. Dieu ne raisonne pas comme nous.
« Dieu ne regarde pas comme les hommes : les hommes regardent l’apparence, mais
le Seigneur regarde le cœur. » Cette parole de Dieu à Samuel dans la 1e lecture
explique beaucoup d’incompréhensions entre Dieu et nous. Nous, nous nous fions à
ce que nous voyons. Du coup on ne comprend pas les critères de Dieu : pourquoi
Seigneur n’arrêtes-tu pas la guerre en Ukraine ? Et mon cancer, pourquoi tu ne me
guéris pas ? Et mes enfants, pourquoi tu ne leur donne pas la foi pour qu’il revienne
à l’église ?
Il n’y a rien à faire. Dieu ne regarde pas les choses comme nous. Lui regarde
l’invisible. Il regarde le cœur.
Dans la 1e lecture, cela provoque une difficulté quand Israël doit se choisir un roi.
Pour tout le monde, c’est évident que Dieu choisira un guerrier ! Israël est menacé
de tous les côtés, donc Dieu choisira un roi capable de défendre son peuple, une sorte
de grosse brute épaisse.
On va donc chez Jessé, celui qui doit donner le prochain roi. Et là, ça tombe bien,
Jessé a sept fils qui sont des brutes épaisses, des guerriers. Pourtant, Dieu ne choisit
aucun de ceux-là. Il y a bien le petit huitième, mais enfin… il est berger, raffiné,
comment Dieu pourrait-il le choisir comme roi ? On va quand même le chercher, et
c’est lui que Dieu choisi. Comment Dieu peut-il choisir un garçon avec ce profil ?
On comprendra plus tard, quand David affrontera Goliath, que Dieu a préfèré le cœur
de berger au cœur de guerrier, parce qu’à la fin, c’est le pasteur qui gagne. Israël
avait besoin d’un pasteur comme roi, pas d’un guerrier.
Dans l’Évangile, c’est la même chose ! D’abord, on pense que l’homme aveugle est
infirme par punition de Dieu, parce que soit lui soit ses parents ont péché. Et il y a
une deuxième incompréhension : si Jésus était de Dieu, il respecterait le Sabbat. Dieu
ne peut pas tolérer un travail le 7e jour.
Au temps du roi David comme au temps de Jésus, et aujourd’hui encore, nous aimons
tellement penser à la place de Dieu. Bien entendu, Dieu pense comme moi ! Vous
savez, c’est comme Louis de Funès dans Rabbi Jacob : il est catholique, « comme
tout le monde, comme le bon Dieu ! ».
Mais la logique de Dieu n’est pas celle des hommes. Nous ne sommes pas Dieu !
Dans la vie spirituelle, il y a toujours ce risque de faire de Dieu un alter-ego, une
sorte de compagnon de route qui me ressemble. C’est le risque de réduire Dieu à un
bon copain qui est de bon conseil. Quand on fait ça, on réduit Jésus à son humanité,
et on oublie que, tout homme qu’il fût, Dieu demeure le Tout-Autre. Si Dieu s’est
incarné, s’il nous donne la possibilité de le connaître et de vivre une relation avec lui,
il n’en demeure pas moins le Tout-Autre. Connaître Dieu, ce n’est pas le réduire à
notre mesure, c’est nous laisser élever à son altérité.
Ce n’est pas nous qui le rejoignons. C’est lui qui nous rejoint. Ce n’est pas lui qui
pense comme moi. C’est moi qui apprends à penser comme lui.
Vivre avec Dieu, c’est me mettre à son écoute, à travers sa Parole. Et moi, sachant
qui je suis, me sachant fils de Dieu pécheur et pardonné, c’est laisser mes propres
désirs être travaillés par le désir de Dieu, puis avancer.
En fait, la relation avec Dieu, c’est la rencontre de deux libertés. Dieu, librement, me
rejoins et il a un désir pour moi. Et moi, librement, je l’accueille, je laisse mes désirs
être travaillés par les siens, je me laisse configurer. Voilà ce qu’est la joie de
cheminer avec Dieu, la joie mise en valeur en ce dimanche de Laetare.
Dans cette deuxième partie de Carême qui s’ouvre, laissons-nous faire, comme
l’aveugle de l’Évangile. Acceptons de nous laisser déplacer, acceptons l’ordre de
Jésus d’aller à la piscine de Siloé, littéralement, acceptons d’être ses « envoyés ».
Alors il nous rendra heureux au milieu des épreuves, et il pourra faire des miracles.
Amen