Chers frères et sœurs,
Dans les histoires qu’on raconte aux enfants, il y a souvent les bons contre les
méchants : le chaperon rouge contre le loup, Titi contre Grosminet… C’est toujours
comme ça. C’est vrai aussi pour les adultes : Cosette contre les Thénardier, Batman
contre le Joker… On personnifie le bien et le mal.
Et l’Évangile d’aujourd’hui nous rappelle bien que dans la vie, dans le champ du
Seigneur, il y a effectivement du bon grain comme de l’ivraie. Ivraie, en grec, se dit
zizanion, qui a donné la zizanie. L’ivraie, c’est le mal qui provoque la zizanie, la
division, entre nous et en nous.
Or il y a un grand danger, c’est d’opposer trop radicalement l’ivraie au bon grain,
comme on le fait dans les contes. Nous pourrions croire que le champ du Seigneur
est comme divisé en deux parcelles qui se font face, avec d’un côté le bon grain, et
de l’autre l’ivraie.
Pourtant, ce n’est pas ce que décrit Jésus. Au contraire, le bon grain et l’ivraie sont
tellement mélangés dans un même champ, que vouloir arracher l’un risquerait
d’emporter l’autre. Ce champ, c’est le monde, mais ce sont aussi nos vies, nos cœurs.
Le meilleur et le pire y sont tellement liés, ils cohabitent de manière tellement serrée
dans chacun de nos cœurs, que l’ivraie ne peut pas encore être arrachée.
Nous ne devons donc pas nous laisser enfermer dans une vision manichéenne du
monde ou de l’Église, en nous plaçant du côté du bon grain et pensant que nous
faisons face au mal, comme une réalité extérieure à nous-même. Non. Il y a en chacun
de nous, dans l’Église et dans le monde, à la fois du bon grain et de l’ivraie.
Il n’y a pas et il n’y aura jamais d’un côté les pécheurs et de l’autre les purs, ni dans
l’Église, ni dans le monde. Ce qu’il y a de péché dans le monde, comme tout ce qu’il
y a de beau aussi, nous le trouverons toujours dans l’Église, parce que l’Église est
dans le monde.
Ça, c’est pour le constat.
Du coup on fait comment si, dans la vie, aucun super-héros ne peut pas venir vaincre
le mal définitivement ?
Parce qu’en fait c’est ça que souhaitent les serviteurs impatients de l’Évangile ! Ils
veulent arracher définitivement l’ivraie pour vaincre le mal. On le comprend bien,
nous aussi nous aimerions que ça puisse se faire comme ça.
Et bien Jésus explique que même si l’ivraie est là, Dieu attend. Il regarde son champ,
il prend patience comme un Père regarde son enfant grandir et murir. Il jette un regard
patient et miséricordieux sur le champ de nos vies. Il voit mieux que nous la saleté
et le mal. Mais surtout, et voilà la bonne nouvelle, il perçoit aussi toutes les petites
pousses du bien, et il attend, confiant, qu’elles mûrissent et grandissent.
Ça, frères et sœurs, ça doit nous donner du baume au cœur. Nous sommes appelés à
entrer dans le regard de Dieu, et comme lui, à regarder tout ce qu’il y a de beau et de
grand dans ce champ, dans ce monde, dans l’Église. Dieu attend, confiant, que ces
belles pousses grandissent jusqu’à prendre toute la place.
Dieu patiente parce qu’il sait, lui, que sa grâce est plus forte que le mal. Et c’est là la
bonne nouvelle de cette parabole : il est toujours possible que le bon grain prenne
toute la place dans le champ, par la grâce de Dieu. Et cela appelle notre
responsabilité, notre liberté.
Le bon grain prendra toute la place dans le champ quand il aura pris toute la place
dans chacun de nos cœurs. Ce n’est pas compliqué. Dieu nous invite à bien regarder
notre cœur avant de regarder celui des autres et avant de désespérer en contemplant
le champ.
Frères et sœurs, il ne nous appartient pas de vouloir supprimer le mal du monde.
Mais il nous appartient de nous placer, nous, sous la grâce de Dieu, pour laisser
germer toutes les belles pousses de bon grain qu’il y a en nous. C’est la seule
recette pour que l’ivraie disparaisse, et il peut disparaître.
Amen