Chers frères et sœurs,
Jésus et les pèlerins d’Emmaüs sont un peu comme Sherlock Holmes et le Dr Watson.
Vous savez, on est à la fin de l’enquête, tous les éléments sont sur la table et Sherlock
dit à Watson : alors mon cher ami, vous ne voyez toujours pas ?
Et non, les pèlerins d’Emmaüs ont tout vu, tout vécu, mais ils ne parviennent pas
encore à comprendre, à voir le sens des choses.
C’est Jésus qui entame la conversation :
« De quoi discutiez-vous ?
– Des évènements.
– Quels évènements ? »
Jésus est d’une parfaite mauvaise foi ! Il sait très bien de quels évènements il s’agit.
Mais il veut entendre leur version de l’affaire.
Et c’est là que ça devient intéressant… la version des deux disciples commence par
la vie de Jésus. Le début de toute cette histoire, pour eux, c’est la vie de Jésus.
Et là, Jésus comprend qu’ils n’ont pas compris : « Esprits sans intelligence ».
Autrement dit : je vais vous raconter, moi, la vraie version de l’histoire. Ce sont les
mêmes évènements, mais vu avec une autre perspective, une perspective qui
commence par le début, par Moïse et les prophètes.
Pour les disciples, tout a commencé avec Jésus. Pour Jésus, tout a commencé avec
les prophètes.
Frères et sœurs, bien souvent, nous en sommes encore, nous, à réagir comme les
disciples d’Emmaüs !
Je vais vous raconter une anecdote que je trouve très significative. En mars, je suis
allé accompagner un pèlerinage dans le désert. Dans la liste des choses à emporter,
il était marqué qu’il fallait prendre une Bible. Et une bonne partie des pèlerins, pour
ne pas se charger de choses inutiles, n’ont pris qu’un Nouveau Testament. D’abord
c’est plus léger, et ça leur semblait évident que nous n’aurions pas besoin de l’Ancien
Testament. Pas de bol, j’ai prêché sur Abraham, Isaac et Jacob.
Mais combien opposent encore le Dieu d’Abraham au Dieu de Jésus-Christ ?
Combien passent encore à côté de la cohérence des Écritures en croyant que le Dieu
du Nouveau Testament serait un Dieu d’amour alors que celui de l’Ancien serait un
Dieu violent ?
Ce que nous dit Jésus, c’est que si nous entrons dans le mystère de l’Écriture, de
toute l’Écriture, depuis les prophètes, alors nous serons saisis. « Notre cœur n’était-
il pas brûlant en nous tandis qu’il nous parlait sur la route et nous ouvrait les
Écritures ? »
Dieu s’est fait connaître à l’humanité et l’histoire de cette Révélation se trouve dans
l’Écriture. Cette révélation atteint son sommet, sa plénitude, avec Jésus. Mais Jésus
dit aux disciples d’Emmaüs qu’ils ne pourront le reconnaître, que s’ils le laissent être
éclairé par tout ce qui a été vécu avec Dieu, par tout ce qui a été annoncé au peuple
d’Israël.
Jésus n’arrive pas comme un cheveu sur la soupe ! Le cœur des hommes avait été
préparé.
Sa résurrection n’est pas un truc improbable. C’est le sommet de toute une ascension.
C’est fondamental pour notre foi !
Ça nous rappelle que la foi chrétienne est un tout parfaitement cohérent, qu’elle n’est
pas une religion fondée sur un seul évènement, sur l’histoire d’un homme revenu
d’entre les morts. Non, la foi chrétienne est fondée en raison, elle est bâtie sur du
solide, sur une histoire qui a un sens, et qui, si elle est prise dans son entièreté, éclaire
toute notre vie. La foi chrétienne n’est pas la foi dans une religion dogmatique, mais
dans l’histoire d’une relation entre Dieu et les hommes.
La foi chrétienne, ce n’est pas seulement croire que Jésus est ressuscité et faire ce
qu’il faut pour gagner son ciel !
Non ! La foi chrétienne c’est croire en l’histoire du Salut ! C’est croire en cette
histoire dont la Création est le point de départ, dont la résurrection est la clef, et dont
la Gloire est la fin. La foi chrétienne, c’est croire qu’au cours de cette histoire,
l’homme s’est séparé de Dieu par le péché originel, mais que Dieu ne l’a pas
abandonné et s’est révélé à lui en faisant alliance, d’abord avec un peuple, puis avec
tous les hommes. C’est croire que ma vie, que chaque vie, est une histoire sainte avec
Dieu qui s’insère dans cette grande histoire du Salut et que chaque vie a un rôle à y
jouer.
La foi n’est donc pas une partie de notre vie. La foi chrétienne prend tout, elle
embrasse tout, elle ne peut donner du sens qu’à tout, au tout de notre existence. Par
nature, elle ne peut pas se cantonner à une partie de notre histoire ou de l’histoire.
Elle oriente tout. À sa lumière, tout prend sens.
Si nous voulons, comme les disciples d’Emmaüs, reconnaître Jésus ressuscité dans
nos vies, si nous voulons que nos yeux s’ouvrent devant le pain rompu, il faut laisser
la Parole de Dieu, tout la Parole, éclairer nos vies, toute notre vie.
Frères et Sœurs, ouvrons nos Bibles, pas seulement le Nouveau Testament.
Accueillons la Révélation que Dieu fait de lui-même dans notre histoire ; toute la
Révélation, toute l’histoire. Alors c’est toute notre vie qui sera éclairée d’un jour
nouveau, parce qu’elle trouvera sa place dans la grande histoire du Salut.
Amen
