Nous vivons un moment très particulier. Le siège de Pierre est vide. Cela ne devrait
pas durer très longtemps puisque saint Pierre aura probablement un nouveau
successeur d’ici dimanche prochain.
Vous avez sans doute remarqué qu’à l’approche du Conclave, beaucoup sont devenus
subitement très forts, spécialistes, pour dire quel profil devrait avoir ce prochain
Pape. C’est pire qu’avant une coupe de monde quand tout le monde se croit meilleur
que le sélectionneur. Là, nous nous croyons tous meilleurs que l’Esprit-Saint.
Vous savez que depuis lundi, quelque chose de très important se déroule : les
cardinaux se réunissent en congrégations générales. Ils réfléchissent, ils débattent sur
l’état de l’Église, sur les chemins que l’Évangile lui indique. Ils travaillent.
Soyons clairs : c’est bien l’Esprit Saint qui inspirera le vote. Mais pour que l’Esprit
Saint puisse inspirer du mieux possible les cardinaux, il est nécessaire d’offrir à cet
Esprit des consciences éclairées. Donc il faut travailler. L’Esprit n’exclut pas le
travail, au contraire. Voilà ce qui l’Église vit en ce moment-même.
Et pendant ce temps, à l’extérieur, nous passons sans doute plus de temps à
commenter qu’à prier. Moi le premier ! Nous commentons ce que le prochain Pape
devrait faire, devrait être. Et nous oublions que lorsque nous parlons du prochain
Pape, c’est de nous dont nous parlons. Parce que la mission du Pape, c’est la mission
de l’Église. Et la mission de l’Église, c’est la nôtre.
Le Pape n’est ni sélectionneur, ni chef d’entreprise… il est pasteur. Mais un pasteur
particulier : il a la charge de mener un troupeau dont toutes les brebis ont reçu
l’Esprit-Saint au jour du baptême. Nous sommes tous envoyés pour l’annonce de
l’Évangile, par l’Esprit. Donc en la matière, ce qui revient au successeur de Pierre
revient à tous les baptisés. Si tel doit être le Pape, alors tel devons-nous être.
L’Évangile d’aujourd’hui nous parle de la mission et dresse comme un portrait-robot
des missionnaires, des chrétiens que nous devons tous être. Il dresse donc un portrait-
robot du Pape, de ce qu’il doit être avec tout le troupeau. Dans cet Évangile, nous
sommes après la résurrection, et nous voyons saint Pierre dans sa barque. Pierre c’est
l’Église. Et Pierre dans la barque, c’est l’Église qui va dans le monde. Ça veut dire
que l’Église est en mission. C’est sa nature.
Et de cet Évangile, nous pouvons tirer au moins 4 enseignements sur ce que ça veut
dire qu’être chrétien, donc missionnaire.
Le 1er enseignement est que la mission de l’Église n’est ni la nôtre, ni celle du Pape,
mais celle de Dieu. Vous avez remarqué qu’au début de l’Évangile, les apôtres font
par eux-mêmes. Ils pêchent. Ce sont des professionnels, ils savent faire, pourtant ils
ne prennent rien.
Dans la seconde partie, ils obéissent à Jésus. Et là, le filet est rempli.
Dans l’Église, si nous suivons les instructions de Dieu, le filet sera plein. Si nous
construisons notre projet, le filet sera vide. Et cela est vrai autant pour le successeur
de Pierre que pour nous. Un Pape ne peut avoir d’autre programme que celui de
l’Évangile. Sinon, les filets seront vides. Donc le Conclave ne peut pas être une
campagne électorale. Il n’y a aucun programme à présenter. L’unique programme,
c’est l’Évangile. Il n’y a pas de place pour les projets personnels. À Rome comme à
La Rochelle, aucun baptisé ne peut imaginer utiliser l’Église pour ces projets
personnels. Ici, c’est la mission du Christ que nous accomplissons.
Le 2e enseignement concerne les moyens de la mission. Nous devons faire la mission
qui nous est donnée par Jésus, mais avec quel moyen ?
Quand Pierre jette le filet à droite, il se remplit, pourquoi ? Parce que pour jeter le
filer à droite, Pierre doit l’envoyer avec son bras gauche, le bras de la faiblesse. Les
moyens de la mission sont nos faiblesses. Rappelez-vous saint Paul : c’est quand je
suis faible que je suis fort. Si nous croyons que nous parviendrons à œuvrer pour le
Royaume grâce à ce que nous maîtrisons, nous nous mettons le doigt dans l’œil.
Même ce que nous maîtrisons, il faut le laisser entre les mains de Dieu. Même nos
talents doivent être remis à Dieu pour porter du fruit. Nous sommes des ouvriers, des
serviteurs. Et le Pape est le premier. Il a ce magnifique titre de Serviteur des
serviteurs.
Il y a un 3e enseignement à tirer de cet Évangile, avec l’histoire du manteau. Il est
curieux d’une part que Pierre pêche nu, et encore plus qu’il passe un vêtement pour
plonger à l’eau. En général, c’est l’inverse. On se déshabille pour aller à l’eau.
Ce vêtement, c’est celui de la foi. Il n’y a pas d’Église en mission sans des chrétiens
qui vivent de leur foi. Le Pape ne peut pas être autre chose qu’un priant. L’Église ne
peut être formée d’autre chose que de priants. Tant que nous ne serons pas tous de
vrais priants, c’est-à-dire des chrétiens capables, comme Pierre, de se jeter à l’eau
enveloppés de la foi pour nager vers le Christ, nous aurons du mal à parler du
prochain Pape autrement que comme des bookmakers.
Enfin, il y a un dernier enseignement, sur les fruits de la mission. Ce fruit principal,
c’est l’unité. On entend parfois dans les médias que le prochain Pape devra être un
Pape qui favorise l’unité. Mais l’unité n’est pas un programme, c’est le fruit de la
mission.
Dans l’Évangile, ils prennent 153 poissons. Ce nombre correspond aux nations
connues à cette époque. Le monde est alors divisé en 153 pays. Or à la fin, Jésus leur
donne « le poisson », dit saint Jean. Avec le Christ, il n’y a plus de multiples entités,
mais un seul corps. Il n’y a pas 153 poissons, mais « le poisson ». En lui, nous ne
sommes plus qu’un.
Nous qui célébrons l’Eucharistie nous le savons bien. Nous sommes 700, 800 peut-
être à être arrivés ce matin dans cette cathédrale. Nous sommes venus
individuellement et pourtant, c’est maintenant un seul corps qui célèbre l’Eucharistie,
le corps du Christ que nous formons ensemble, indistinctement. Ainsi est l’Église, et
ainsi sera-t-elle, non pas si on choisit le bon Pape comme on choisirait un bon
sélectionneur ou un bon Président, mais si chacun de nous vit authentiquement de
son baptême. Amen.
P. Louis Chasseriau