Chers frères et sœurs,
La semaine dernière, nous avons accueilli le sociologue Jean-Louis Schlegel au
centre Souzy, pour une conférence. Plus de 130 personnes sont venues l’écouter.
C’est un record. Et nous ne comptons plus les livres de sociologues ou d’historiens
très intelligents qui nous aident à réfléchir l’époque que nous vivons. Je pense aussi
au succès des livres de Guillaume Cuchet.
Nous avons besoin de comprendre. Ce n’est pas étonnant… Le christianisme était, il
n’y a pas si longtemps, largement majoritaire en France, et en quelques décennies la
pratique s’est effondrée. Si nous parlons des pratiquants hebdomadaires, nous ne
sommes que 2% de la population ! Nous avons besoin de comprendre ce qui se passe.
Comme toujours, l’Évangile arrive à point nommé.
Jésus nous dit : vous êtes le sel de la terre, vous êtes la lumière du monde. Il aurait
pu dire : vous n’êtes peut-être que 2%, mais vous êtes quand même le sel de la terre
et la lumière du monde. 2% de sel, c’est déjà beaucoup ! Dans les plats cuisinés, il
n’en faut pas plus de 0,8%. Donc on est large…
Si notre nombre évolue, si notre rapport à la société évolue, ce que les chrétiens sont
pour le monde, en revanche, ne change pas. Nous sommes le sel et la lumière.
Parce que le sel comme la lumière n’existent pas pour eux-mêmes. La vocation du
sel est de disparaître pour révéler le goût des autres. La vocation de la lumière est de
mettre au jour autre chose qu’elle-même. Jésus nous dit ainsi que nous ne sommes
pas pour nous-mêmes, mais pour le monde. L’Église existe pour le monde, pas pour
elle-même. Nous, les 2%, nous sommes pour le monde, en vue du Royaume. Nous
sommes là pour révéler plus grand que nous-même.
Vous voyez que Jésus utilise ces images pour nous dire que nous sommes ce que le
sel et la lumière ont en commun. Ce qu’ils ont en commun, c’est qu’ils révèlent.
Or, de plus en plus souvent, cet Évangile est utilisé pour opposer le sel et la lumière.
Vous savez comme moi que cet Évangile est utilisé pour alimenter ce débat qui existe
dans l’Église et qui vire même à un conflit de générations.
La question qui nous agite, nous, les 2%, c’est de savoir si, pour annoncer l’Évangile,
il faut être discret, comme le sel dans le plat, invisible et pourtant présent, ou au
contre se faire visible, comme la lumière dans la nuit.
Il y a un discours à la mode qui dit à peu près ceci : il y a quelques années, il suffisait
d’être sel de la terre. Le christianisme pesait dans la société et les chrétiens pouvaient
annoncer le Christ discrètement, comme le levain dans la pâte. Mais aujourd’hui,
nous devrions être lumière, annoncer le Christ de manière plus visible. Vous voyez
comment, là, on commence à opposer le sel et la lumière.
Et nous, nous entrons dans ce jeu en nous mettant des étiquettes. Il y aurait d’un côté
les « chrétiens – sel », ceux qui témoignent en se faisant discrets, plutôt veille école.
Et d’un autre il y aurait les « chrétiens – lumière », ceux qui se montrent, qui
défendent un héritage, une identité, plutôt nouvelle école. Deux camps avec deux
rapports différents au monde.
Les chrétiens-sel vont s’étonner que les jeunes prêtres portent le col romain ou la
soutane, et les chrétiens-lumière, eux, ne comprendront pas qu’on ne se mobilise pas
pour défendre la vierge de la Flotte.
Mais où avez-vous vu que Jésus nous demande de choisir entre être sel ou être
lumière pour le monde. Il nous dit que nous sommes les deux ! Et vouloir opposer
les deux n’est pas honnête. Nous n’avons pas à créer des oppositions pour entretenir
nos querelles. Jésus ne nous dit pas de choisir. Il nous dit que nous sommes sel et
lumière.
Être chrétien, c’est révéler ce qui est plus grand que nous. Nous ne devons pas être
présents au monde pour nous-même, ni pour nous mettre en valeur, ni pour défendre
notre peau. Nous devons annoncer l’amour du Christ !
Concrètement, être chrétien, c’est faire comme Jean-Baptiste. Jean-Baptiste savait à
la fois crier dans le désert, il était tout à fait visible au point de déranger les autorités,
et montrer le Christ, il savait s’effacer derrière Jésus.
Comme Jean-Baptiste, les chrétiens sont des révélateurs : ils annoncent haut et fort
pour mieux s’effacer derrière celui qu’ils annoncent.
Cela veut dire que si personne n’a besoin de nous pour exister, le monde a besoin de
nous pour devenir ce qu’il est vraiment.
Parce que notre monde et nos contemporains ont besoin du Christ, ils ont besoin de
nos prières, de notre fidélité à l’Eucharistie, du témoignage que nous pourrons donner
du Christ, par nos paroles et par nos actes.
Nous sommes là pour faire vivre le Royaume de Dieu, pour donner du goût, et pour
révéler toutes ces traces du Royaume qui sont déjà là, partout.
Le Royaume est là quand Jacques et Pierre accompagnent les familles en deuil et leur
apporte la consolation de Dieu. Le Royaume est là quand Olivier et Florence
cheminent avec les jeunes couples vers le mariage pour leur montrer la grandeur de
l’amour de Dieu. Le Royaume est là quand Catherine est une présence de Dieu auprès
des malades psychiatriques. Le Royaume est là dans vos familles quand vous êtes
des miroirs de l’amour de Dieu pour le monde. Le Royaume est là quand vous avez
15 ans, 20 ans, et que vous osez dire la vie a un sens et que ce sens c’est le Christ.
Le Royaume est là, et nous, chrétiens, le mettons en lumière.
Au premier siècle, quelques disciples ont suffi. Alors 2%, c’est largement suffisant.
Ce n’est pas une question de chiffres. C’est une question de foi.
Amen
Père Louis Chasseriau