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Christ Sauveur

9 mars 2025

Nous ne sommes pas encore sortis de l’hiver, et les virus trainent encore. Tout l’hiver,
nous avons été préoccupés les uns par la grippe, les autres par une pharyngite. Bref,
un hiver de plus avec ses pathologies hivernales.
Mais pendant ce temps, une autre maladie dont personne ne parle s’est développée.
Une maladie très ancienne a réapparu. Et sans avoir besoin de vos analyses de sang,
je peux vous dire que chacun de nous a certainement contracté cette maladie à un
degré plus ou moins élevé.
Je ne vous ai pas encore dit. Cette maladie a une particularité : elle est spirituelle.
Elle n’en est pas moins réelle !
Ça commence par une lente séparation d’avec Dieu. On n’arrive plus à être en
communion avec lui, on a du mal à lui parler, voire à le comprendre, parfois on ne
sait même plus très bien qui il est. Il y a un autre symptôme : on remplit son existence
de biens matérielles.
Cette maladie nous plonge dans en état de division intérieure : on conserve une
dimension spirituelle mais qui s’amenuise, et d’un autre côté on se passionne pour
ce qu’on peut posséder, et aussi pour son nombril. Posséder ou se regarder devient
un sentiment agréable dont on n’arrive plus à se passer.
Il existe beaucoup de déclinaisons de cette maladie qui est aussi vieille que
l’humanité. Beaucoup de Pères de l’Église en ont parlé. Cette maladie, ils l’ont

appelée : la philautie (fi.lo.ti). Ce nom vient du grec : philos (qui aime), autos (soi-
même). Si vous voulez en savoir plus, allez lire Maxime le Confesseur, c’est lui le

grand spécialiste.
Et quand je vous dis que cette maladie a fait sa réapparition dans le monde, j’en veux
pour preuve l’Évangile d’aujourd’hui, les tentations de Jésus au désert. Elles
correspondent exactement aux symptômes de la philautie que notre monde
contemporain a développé.
D’abord, Jésus est soumis à la tentation de pouvoir sur les biens de ce monde.

Dans l’Évangile il s’agit de changer la pierre en pain ; aujourd’hui on veut la changer
en pétrole ou en lithium. On exploite la création pour satisfaire nos besoins à tout
prix.
Ensuite, il y a la tentation de pouvoir sur le monde. Dans l’Évangile il s’agit de
maîtriser la terre et les hommes ; aujourd’hui il n’y a plus besoin de regarder bien
loin pour voir des hommes en soumettre d’autres.
Et enfin il y a la tentation de maîtriser la vie. Dans l’Évangile il s’agit de maîtriser sa
propre vie ; aujourd’hui, on va jusqu’à s’arroger le droit de disposer de la vie des
autres, de préférence les plus dépendants.
Vous voyez ? On commence par évacuer Dieu, puis on exerce son pouvoir sur les
choses, puis sur les autres, et finalement sur la vie elle-même. Quand on évacue Dieu,
le diable s’en délecte.

Bonne nouvelle : on a un traitement. Mauvaise nouvelle : il est complexe, parce qu’il
fait appel à plusieurs remèdes différents qu’il faut associer savamment. Parmi ces
remèdes, le principal est le jeûne.
C’est ce que propose Moïse dans la première lecture. Il demande qu’à chaque récolte,
on ne mange pas les prémices, c’est à dire les premiers fruits de la terre, mais qu’on
les offre à Dieu en les reconnaissant comme un don de Dieu.
En s’obligeant à cela, on évite la tentation de s’approprier les fruits de la terre, et
d’entrer dans l’engrenage de la philautie.
Parce que concrètement, quand je mange, je m’approprie, je porte à mon bénéfice le
fruit de la terre. Quand je consomme, quand j’achète des choses, je prends pour moi
le fruit du travail des hommes. Ça n’a rien de malhonnête ! Dieu nous a même confié
la création pour ça, pour que nous la cultivions et en tirions les fruits. Mais si nous
n’entretenons pas en nous cette conscience que tout cela ne nous revient pas de droit,
que tout cela est un don de Dieu, alors ça risque de nous séparer de lui. C’est ça la
logique de la philautie. D’où l’importance de bénir le repas, de dire les grâces, de
jeûner, de pratiquer l’aumône. Ce ne sont pas des vestiges d’un christianisme désuet.
Ce sont des règles de vie éprouvées par des générations qui ont fait l’expérience
qu’elles nous aident à ne pas nous séparer de Dieu.

À l’inverse, quand je jeûne, je prends conscience que, ce que je fais mien de manière
habituelle, ce n’est pas à moi de droit. Les fruits de la terre sont d’abord des dons de
Dieu. Et ne pas me les approprier pour les lui rendre est une chose juste. Le jeûne,
c’est dire à Dieu : ce que je m’approprie instinctivement, je reconnais que c’est à toi,
et aujourd’hui, je ne me l’approprierai pas. Aujourd’hui, cette part ne sera pas pour
moi, mais pour d’autres.
C’est exactement ce que nous faisons pendant la messe. Nous présentons le pain et
le vin à Dieu, nous lui présentons une offrande pécuniaire, fruit de notre travail, non
pas pour lui donner, mais pour lui rendre. Le prêtre dit : « Nous avons reçu de ta
bonté le pain (le vin) que nous te présentons ». Et Dieu saura, avec ces fruits,
construire le Royaume.
Vous voyez, venir à la messe et vivre l’offertoire, c’est déjà entamer le traitement
contre la philautie.
Frères et sœurs, pendant le déjeuner que nous partagions hier entre les prêtres de la
paroisse, il y avait un débat sur quel match serait le plus intéressant du week-end :
Irlande-France hier, ou Jésus contre le diable aujourd’hui. C’était tendu.
Hier, la France a gagné. Aujourd’hui, Jésus a gagné. J’espère bien qu’au cours de ce
carême nous gagnerons tous notre match contre la philautie. Amen.
P. Louis Chasseriau

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