Chers frères et sœurs,
Tout d’abord, je souhaite à chacun de vous une sainte année 2023, une année vécue
dans une union toujours plus étroite avec le Seigneur.
Mais la liturgie du 1er janvier ne considère pas tellement cette nouvelle année. Le
début de l’année liturgique, c’était il y a un mois, au début de l’Avent.
Aujourd’hui, nous poursuivons le temps de Noël. Avec la solennité de Sainte Marie,
Mère de Dieu, l’Église célèbre aujourd’hui comme le début de l’histoire du monde
d’après l’Incarnation. C’est la suite de l’évangile du jour de Noël : « et le Verbe s’est
fait chair, et il a habité parmi nous ». Au fond, nous sommes appelés à méditer ce
qu’est désormais notre humanité, maintenant que la divinité y a pointé le bout de son
nez.
Nous sommes transportés à Éphèse, sur la côte ouest de l’actuelle Turquie, en l’an
431. L’Église y est réunie en Concile pour répondre à une question qui fait débat et
touche au mystère de Noël, au mystère de l’Incarnation. Cette question, la voici :
peut-on appeler Marie « Mère de Dieu » ?
Nous, nous le faisons naturellement quand nous prions le Je vous salue Marie…
« Sainte Marie, Mère de Dieu, priez pour nous, pauvres pécheurs… ». Cela nous
paraît naturel parce que nous avons hérité de la foi d’Éphèse.
Pourtant, si on y réfléchit un peu, cette question est redoutable ! Peut-on appeler
Marie, « Mère de Dieu » ?
Que Marie soit mère de Jésus, c’est évident. Marie a mis au monde Jésus, dans cette
étable de Bethléem. Marie a donné son humanité à cet enfant.
Mais la difficulté vient du fait que Jésus est à la fois pleinement homme et pleinement
Dieu. En lui cohabitent ces deux natures. Or, si Marie a bien donné son humanité à
Jésus, elle n’a pas pu lui transmettre la divinité ! Marie n’est pas une déesse, elle n’a
pas pu transmettre ce qu’elle n’avait pas.
Alors, peut-on se permettre de l’appeler « Mère de Dieu » ? Ne devrait-on pas
l’appeler uniquement « Mère de Jésus », pour signifier qu’elle n’est pour rien dans
la nature divine de Jésus ?
Et bien le Concile répond : oui, on peut appeler Marie « Mère de Dieu ». Pourquoi ?
Parce que les apôtres ont témoigné que le Jésus avec lequel ils ont vécu n’est qu’une
seule et même personne. Il n’a pas une double personnalité, comme Dr Jekyll et Mr
Hyde, homme le jour et Dieu la nuit. Non, Jésus est une personne mais avec une
double nature, homme et Dieu à la fois et à chaque instant.
Et Marie est mère de cette personne qui est totalement homme et totalement Dieu.
Marie peut donc bien être appelée Mère de Dieu, parce qu’elle a été vraiment mère
de cette personne-là. Certes, elle ne lui a pas transmis sa divinité, mais refuser à
Marie le titre de Mère de Dieu, ce serait considérer que la divinité de Jésus pourrait
être séparée de son humanité. Or ce n’est pas le cas.
C’est beau de faire un peu de théologie le jour où un si grand théologien nous quitte,
vous ne trouvez pas ?
Mais aussi passionnante soit cette question théologique, nous pouvons nous
demander ce que cela change pour nous. Sans doute vous posez-vous cette question
depuis le début de cette homélie…
Et bien ça change beaucoup de choses, puisque ça change notre rapport à Dieu.
Cette foi d’Éphèse nous enseigne que la divinité et l’humanité peuvent cohabiter en
une personne. Dieu a donné à notre humanité la capacité de recevoir sa divinité.
Cela veut dire que Dieu est capable de venir habiter en chacune de nos humanités et
que nous sommes capables de l’accueillir, malgré notre péché. Dieu n’est pas
condamné à être une réalité extérieure à nous. Si nous nous ouvrons à sa grâce, Dieu
peut devenir une réalité intérieure.
Il n’y a plus rien d’humain qui ne peut être divinisé. Plus rien de nos vies n’est hors
de portée ni hors d’intérêt de Dieu.
Frères et sœurs, c’est tout le programme de sainteté que je nous souhaite pour cette
nouvelle année.
Il est assez vain, je trouve, de nous souhaiter une bonne santé et plein de bonnes
choses. On n’a que peu de prise là-dessus. Certes, ce ne sont que des vœux. On peut
toujours les souhaiter, mais ça ne changera pas la réalité de ce que nous aurons à
vivre, qui sera peut-être heureux, peut-être douloureux, sans doute les deux à la
fois…
En revanche, nous pouvons nous encourager à ne rien vivre hors du regard de Dieu.
Cela, c’est à notre portée et ça peut tout changer. En cette année 2023, que tout ce
que nous vivrons d’heureux comme de douloureux, soit mis sous le regard de Dieu.
À la suite de cette homélie, j’aimerais dire un mot sur le Pape Benoît XVI, pour que
nous, catholiques, ne résumions pas cet homme à ce que les médias vont pouvoir en
dire.
Nous entendons déjà plein de choses sur les chaînes d’infos en continue : ce qu’a été
son pontificat, la surprise de sa renonciation, etc. Certains aiment aussi aller dans le
registre polémique en évoquant un Pape conservateur, un pape dépassé par la Curie,
ou encore en caricaturant le splendide discours de Ratisbonne. Tout cela est bien
réducteur. D’abord je partage assez peu de choses avec ce qu’on dit de son pontificat
et surtout cet homme ne se résume pas à son pontificat.
La mort de Joseph Ratzinger est un peu comme celle de la Reine Elizabeth II. Ce
sont des morts qui font se refermer définitivement une époque. Il y en a peu des morts
comme celles-là. Avec la mort de Benoît XVI, c’est l’histoire de l’Église du XXe
siècle qui s’achève définitivement.
Cet homme a sans doute été le plus grand théologien de ce siècle et disons-le, de ces
derniers siècles. Avec Rahner, Lubac ou Congar, il a pensé notre foi d’une telle
manière qu’il nous a permis de passer cet immense et redoutable cap de la modernité,
notamment à travers le Concile Vatican II. Il était le dernier grand théologien du
Concile encore de ce monde.
C’est idiot de dire que cet homme était conservateur. Au contraire.
Sans lui, l’Église ne serait sans doute pas parvenue à vivre comme elle l’a fait, le
renouvellement profond qu’elle a connu depuis 60 ans. Il est parvenu à renouveler
notre théologie en l’enrichissant à la fois de la culture profane que de la Tradition.
Avec beaucoup de rigueur et de finesse, il a aidé l’Église à se renouveler en
retrouvant ses racines dans l’Écriture et chez les Pères de l’Église. Il a aussi aidé très
largement au renouveau de la liturgie par la manière qu’il a eu d’en dire le sens
profond.
Alors certes, il était timide et peu à l’aise avec les médias, ce qui aujourd’hui est un
véritable handicap. Certes, il est à l’origine de quelques polémiques médiatiques
mais qui, je pense, n’avaient d’autres causes que l’incapacité des médias à honorer
sa pensée trop subtile.
Cet homme était un géant intellectuel, d’une grande lucidité sur son époque. Et toute
sa vie, il a mis ce don reçu de Dieu au service de l’Église et du monde.
Rendons grâce au Seigneur d’avoir donné son Église un tel serviteur. Et prions pour
lui, pour que l’amour du Christ dont il a tenté de vivre toute sa vie, lui obtienne de
connaître maintenant et pour toujours, la paix et la joie des fils de Dieu.
Amen