On m’a raconté qu’il y a fort longtemps, dans un diocèse fort lointain, les prêtres
surnommaient leur vicaire général « M 20 ». M 20, c’est la référence du chant « Sans
te voir nous t’aimons ».
Même en Église il est difficile de nous aimer les uns les autres et, mieux encore,
d’être reconnus à l’amour que nous nous portons.
C’est pourtant le « commandement nouveau » que Jésus nous donne.
Enfin, est-ce vraiment si nouveau que cela ? Jésus dit : « je vous donne un
commandement nouveau », alors que dans le décalogue déjà il est écrit « tu aimeras
ton prochain comme toi-même ».
Sauf que Jésus y apporte une nouveauté, et de taille : il s’agit certes de nous aimer,
mais de le faire comme lui nous a aimé. Et quand on voit jusqu’où son amour pour
nous l’a mené (oui, je parle bien de la croix), on comprend que la nouveauté pèse
lourd.
Pourquoi devrions-nous nous aimer d’un amour aussi périlleux ? Et en quoi cet
amour serait-il différent de l’amour que nous éprouvons déjà, de manière naturelle ?
Il faut commencer par dire que l’amour que nous éprouvons de manière naturelle est
marqué par le péché, par nos limites. Il ne peut donc pas être celui de Jésus. L’amour
de Jésus a au moins 3 caractéristiques qui ne nous sont pas très instinctives.
1/ D’abord c’est un amour qui n’exclut personne.
Instinctivement, nous, nous aimons certaines personnes et d’autres moins, voire pas
du tout.
La lecture de l’Apocalypse entendue en 2e lecture nous montre un monde nouveau,
une Jérusalem nouvelle qui dépasse les limites d’un peuple élu. Tous les peuples
ont part au salut. Dieu aime tout le monde et nous devons comme le Christ aimer le
monde entier. Je sais ce n’est pas simple. Moi je n’y arrive pas. Et ça peut même
nous paraître assez théorique.
Pourtant, il ne suffit pas de chanter des beaux cantiques et se raconter des belles
histoires où tout le monde s’aime. Il faut le vivre ! Jésus, lui, va à la rencontre des
pharisiens comme des publicains, des prostituées comme des femmes pieuses, des
enfants et des adultes, des samaritains, des étrangers, des juifs, des soldats romains,
des lépreux. L’amour à l’exemple du Christ c’est accepter de regarder avec amour
toute personne sur notre chemin. C’est, après la messe du dimanche, accueillir
comme le Christ à la fois mon ami que je revois avec bonheur, le paroissien que j’ai
du mal à encadrer, le nouveau que je n’ai jamais vu, et le mendiant qui s’est mis sur
ma route. Tous.
2/ Aimer comme Jésus, c’est aussi réussir à aimer sans juger. Aimer tout le monde
c’est déjà compliqué, mais alors si on n’a même plus le droit de juger… Avec la
femme adultère, la samaritaine, les publicains, les pécheurs, Jésus choque parce
qu’il ne juge pas, au sens où il ne condamne pas les personnes : « va, je ne te
condamne pas ». Attention, Jésus est exigeant, mais il n’enferme jamais dans une
situation. Il relève et invite à la conversion : « Va et ne pèche plus ».
Notre amour ne doit pas enfermer, il doit ouvrir, libérer, aider à grandir. Il doit être
au service.
3/ Enfin, c’est un amour qui donne tout. Il ne s’agit ni simplement d’aimer tout le
monde, ni seulement de ne pas condamner, mais de tout donner pour les autres. Sur
la croix, Dieu répand son sang « pour la multitude » et il pardonne à tous : « Père,
pardonnes leur ». Aimer comme le Christ c’est tout donner : notre vie, notre
espérance, nos biens, notre joie.
Et bien voilà le programme ! Ça vous paraît impossible ? Vous avez raison ! Nous
en sommes tous incapables, tous. Parce que, comme je l’ai dit, notre amour est
marqué par le péché. Il y a donc autre chose, une chose sans laquelle tout cela
restera un beau discours, mais sans actes.
Entre l’amour que nous éprouvons naturellement et l’amour de Jésus, il n’y a pas
seulement une différence de degrés, mais de nature. Pour aimer comme Jésus, il ne
faut pas chercher à aimer avec un amour de même ampleur que lui, mais avec un
amour de même nature.
Jésus, lui, se laisse totalement guider par l’Esprit. Voilà la nouveauté : ce n’est plus
l’homme qui aime, c’est Dieu qui aime à travers l’homme de bonne volonté.
Nous pouvons alors comprendre la phrase « ce qui montrera à tous les hommes que
vous êtes mes disciples, c’est l’amour que vous aurez les uns pour les autres ». Si
nous sommes les disciples de Jésus, nous devons être reconnu non pas à un amour
meilleur que les autres, mais différent des autres. Si nous nous laissons guider par
l’Esprit de Dieu, nous ne deviendrons pas tous les meilleurs copains du monde,
mais nous nous aimerons au-delà de ce qui nous sépare. Ce qui nous sépare sera
toujours là, mais ne sera plus un obstacle. Alors le monde sera bien obligé
d’admettre cette évidence que c’est l’Esprit du Christ qui agit en nous.
Ce serait tellement beau de voir ça, dans cette cathédrale et au-dehors. Imaginez-
nous, dans les rues de La Rochelle, laisser l’Esprit du Christ à l’œuvre et être
visible ! Si à l’issue de nos belles messes du dimanche, nous étions capables de
prier l’Esprit pour qu’il nous envoie offrir un sourire et à manger à tous les
mendiants qu’on croise sous les arcades. On nous verrait tous ensemble, à agir
comme Jésus. On pourrait bien voir alors un peu de l’Esprit du Christ agissant en
nous.
C’est à ceci que tous reconnaîtrons que nous sommes ses disciples. Amen
P. Louis Chasseriau