Je suis heureux de voir des enfants dans cette église. Vous, les enfants et les ados,
vous êtes à un âge où vos parents ont la charge de vous éduquer. Ce n’est pas toujours
simple ni pour eux ni pour vous, parce que vous éduquer veut dire vous faire devenir
des adultes libres, responsables et heureux. Et ça, ce n’est pas si simple.
Le philosophe Emmanuel Kant disait que l’éducation consiste à sortir l’humain de
l’animalité pour le destiner à l’humanité. C’est un peu brutal mais c’est intéressant.
Kant suppose qu’à la naissance, nous fonctionnons essentiellement à travers nos
instincts, tels des animaux, et que l’éducation consiste à apprendre à contrôler ces
instincts pour nous gouverner par la raison et l’intelligence.
Et bien dans la Bible, c’est à peu de choses près ce que Dieu fait avec l’homme. Dans
toute l’histoire du Salut, Dieu semble vouloir faire sortir l’homme de sa condition
initiale, pour le faire entrer dans une condition nouvelle. Dieu éduque l’homme. Dans
la Bible, il ne s’agit pas tant de passer de l’animalité à l’humanité, mais de l’humanité
à la divinité. Et pour cela, Dieu se comporte avec l’homme comme un éducateur.
Dans le Deutéronome, il y a un verset qui dit ça : « comme un homme éduque son
fils, ainsi le Seigneur ton Dieu fait ton éducation » (Dt 8,5).
Dans l’Évangile d’aujourd’hui, nous avons un enseignement de Jésus qui nous décrit
l’objectif, le point d’arrivée où Dieu, notre éducateur, souhaite nous emmener. Il se
donne un objectif : que nous soyons assez divins pour : aimer nos ennemis, souhaiter
du bien à ceux qui nous haïssent, faire aux autres ce que nous aimerions qu’ils fassent
pour nous, etc. Dieu veut nous faire sortir des instincts de violence qui habitent notre
humanité pour nous faire entrer dans l’amour qui caractérise la divinité.
On comprend bien où Jésus veut nous amener, mais pour y arriver, ça ne va pas être
simple. Je veux dire : on n’arrive pas à aimer ses ennemis du jour au lendemain. Pour
y parvenir, Dieu, notre éducateur, a un plan en plusieurs étapes.
1/ Le point de départ, c’est la Genèse. Vous connaissez l’histoire. En se coupant de
Dieu, l’homme laisse son cœur être envahi par la violence. On le voit clairement à
partir du meurtre d’Abel par son frère Caïn (Gn 4). La violence a pris le contrôle et
Dieu va devoir éduquer l’homme.
2/ Pour cela, Dieu va commencer par lui donner une règle claire. C’est la loi du
talion : œil pour œil, dent pour dent (Ex 21,24).
Dieu donne cette règle après l’histoire horrible de Lamek (Gn 4,23). Vous savez,
c’est celui qui se vantait de tuer des hommes et des enfants pour venger de simples
égratignures. La loi du talion dit non, ça ce n’est pas possible : pour un œil, un œil,
pour une seule dent pour une seule dent, et pas toute la mâchoire, une vie pour une
vie, et pas tout un village en représailles. La loi du talion c’est la 1ère étape. Et c’est
un vrai progrès. Vous savez mieux que moi que c’est comme ça l’éducation : une
affaire de petits pas, de progrès.
3/ Dieu n’en a donc pas fini. Et la suite va être compliquée pour lui, parce que nous
voyons dans les livres des prophètes que l’homme qui accepte de ne pas se venger, a
l’impression de perdre son honneur.
Vous, parents, vous le savez bien que c’est compliqué : faire comprendre à un enfant
qu’il ne faut pas laisser sa colère ou son envie de vengeance prendre le dessus. Il faut
du temps pour comprendre et accepter que notre honneur n’est pas dans la vengeance
mais dans notre ressemblance à Dieu.
Les enfants, les jeunes, retenez ça : on peut vous mépriser, dire du mal de vous, même
vous frapper, votre honneur n’est pas dans le fait de répondre par la violence. Votre
honneur est au contraire dans votre capacité à répondre comme Jésus. Qu’est-ce que
Jésus aurait fait à ma place ? Notre honneur à tous est là, parce que là est
l’accomplissement de notre humanité. Si je parviens à répondre comme le Christ, je
suis un homme d’honneur, parce que j’ai quitté mon animalité pour entrer dans ma
divinité.
4/ Et la dernière étape dans l’éducation que Dieu nous donne, c’est ce discours de
Jésus dans l’Évangile. Dieu termine notre éducation en nous donnant une
perspective, un horizon. Ça encore c’est important dans l’éducation : donner un
horizon. Vous savez, c’est un peu comme Rudyard Kipling qui écrit : « Si tu peux
faire ceci, si tu peux vivre cela, tu seras un homme mon fils… ».
Dieu nous dit la même chose : si tu parviens à vivre comme le Christ, tu seras un
homme mon fils. Et nous savons qu’être un homme comme le Christ, ça veut dire
ressusciter, donc entrer dans la divinité.
Et voilà, nous y arrivons enfin. L’enjeu de tout ça c’est quoi ? C’est le Royaume. La
vie éternelle.
Si nous ne nous laissons pas configurer à Dieu dès maintenant en vivant comme il
nous y invite, si nous n’apprenons pas à lui ressembler, comment entrerions-nous
dans la vie de Dieu, comme le reconnaitrions-nous, même quand nous le verrons face
à face ?
Il nous faut être familier de Dieu pour imaginer le reconnaître un jour et le suivre.
On ne reconnait pas et on ne suit pas un inconnu.
Si nous ne nous laissons pas configurer à Dieu progressivement, si nous ne nous
laissons pas éduquer par lui dès maintenant, nous risquons de nous présenter devant
lui comme des étrangers et de voir son Royaume comme une terre étrangère, et de
ne pas avoir le désir d’y entrer. Voilà l’enjeu de notre éducation divine.
Frères et sœurs, la liturgie de l’Eucharistie que nous allons maintenant célébrer est le
plus beau lieu de notre éducation. Recevons le Christ en nous pour toujours mieux le
connaître et lui ressembler. Amen.
P. Louis Chasseriau