HOMÉLIE
Dimanche 9 février 2025
Imaginez que Dieu se manifeste à vous directement et de manière spectaculaire. Je
ne sais pas moi, par exemple, la Vierge Marie vous apparaît. Ou bien vous êtes
engagé au Service Évangélique des Malades, et alors que vous le demandez à Dieu,
quelqu’un guéri miraculeusement sous vos yeux. Comment réagiriez-vous ?
J’imagine que vous seriez heureux. En tout cas, moi, je pense que je le serai. Ce qui
est sûr, c’est que je ne serais pas abattu.
C’est pourtant ce qui arrive à Isaïe dans la 1e lecture, et à Pierre dans l’Évangile.
Vous ne trouvez pas ça bizarre ?
Dieu donne à Isaïe une vision du ciel. Isaïe voit Dieu face à face. Et il voit les anges
chanter « Saint, Saint, Saint le Seigneur » (on imagine que les anges chantent le
Sanctus beaucoup mieux que nous…). Et que dit Isaïe ? « Malheur à moi, je suis
perdu ».
Avec Pierre c’est pareil. Pierre sait qu’il n’y a aucun poisson à prendre. Pourtant il
obéit à Jésus, il jette les filets, et les remonte pleins à ras bord. Un vrai miracle. Et
que dit Pierre ? « Éloigne-toi de moi, Seigneur ».
Franchement, soit Isaïe et Pierre sont des gars sinistres, incapables de se réjouir, soit
il y a un truc. Or puisqu’on voit Pierre se réjouir par ailleurs, il fut en déduire qu’il y
a un truc.
Les deux ont vu Dieu. Isaïe a vu le Père. Pierre a vu le Fils. Et les deux ont vu la
grandeur de Dieu. Une grandeur telle qu’ils comprennent leur petitesse, leur
indignité. Le truc c’est que face à l’immense, l’incroyable grandeur de Dieu, ils
comprennent à quel point ils sont petits. Et ça, ça leur met un coup sur la tête. En fait,
ils réagissent comme on réagirait tous si :
1/ on voyait à quel point Dieu est grand,
2/ sans savoir à quel point Dieu nous aime.
Là, il y a quelque chose d’important à comprendre.
Nous, chrétiens d’après l’incarnation, on s’est fait à l’idée que Dieu est proche, et on
a oublié à quel point c’est un oxymore. Depuis toujours le mot Dieu dit une réalité
totalement étrangère aux hommes. La divinité et l’humanité, normalement, c’est
comme l’eau et l’huile, ça ne se mélange pas. Et c’est encore ce que croient les
musulmans par exemple. Il ne leur est pas imaginable que Dieu puisse se mélanger
à nous, pire, se faire l’un de nous, tant il est le Tout Autre.
Et les lectures d’aujourd’hui nous rappellent cette réalité première : Dieu est le Tout
Autre. Là-dessus, les musulmans n’ont pas tort. Et c’est tellement vrai que quand
Isaïe et Pierre le voient en face, ça les accable. Ils se sentent écrasés, indignes, de ce
face à face.
L’un et l’autre vont devoir faire l’expérience de Dieu qui les appelle, de Dieu qui les
rejoint, pour être capables de se relever et de le suivre.
C’est précisément l’expérience à laquelle nous invite l’Eucharistie. À chaque messe,
nous faisons cette expérience.
Avec les anges, nous chantons le Sanctus. Ce chant du ciel devient le nôtre puisqu’en
Jésus, le ciel descend sur terre, et avant les anges nous chantons : Saint, Saint, Saint,
le Seigneur Dieu de l’Univers.
Puis, ayant contemplé cette immense grandeur de Dieu, nous ne sommes pas écrasés
comme Isaïe et Pierre parce que nous le reconnaissons dans le pain et le vin : il vient
par amour. Tout ce qu’il nous reste à dire, ce sont les paroles du centurion : certes,
je ne suis pas digne, mais dis seulement une parole et je serai guéri.
D’ailleurs, à tous ceux qui portent la communion aux malades, voilà une idée : avant
de dire l’Agnus et de donner la communion, vous pourriez commencer par chanter
le Sanctus, pour commencer par le début : reconnaître d’abord la grandeur de Dieu
afin de reconnaître l’ampleur du don de l’Eucharistie.
Celui qui est si grand que cela devrait nous écraser, donne sa vie pour nous.
Il y a un détail dans l’Évangile qui montre très bien cela, qui montre qu’en
s’abaissant, Dieu nous donne sa vie.
L’évangéliste dit que Pierre prend des poissons ; la traduction française dit qu’il les
capture. Et à la fin, Jésus dit à Pierre que désormais, il « prendra » des hommes.
En grec, dans le texte original, ce n’est pas le même verbe. Pour prendre les poissons,
c’est « prendre » au sens de capturer, c’est-à-dire prendre en donnant la mort. Quand
on est pêcheur d’hommes, c’est un verbe « prendre » qui a la même racine que le mot
« vie ». C’est prendre en donnant la vie. Jésus vient nous prendre pour nous donner
la vie, et Pierre, c’est-à-dire l’Église, doit le faire aussi. L’Église, par les sacrements,
donne la vie.
C’est ça l’Eucharistie. Dieu, si grand que cela devrait nous écraser, se fait proche au
point de donner sa vie pour nous, par son Église. Voilà la réalité que vous transmettez
quand, au nom de l’Église, vous portez la communion aux malades.
Et alors, quand à notre tour nous le verrons face à face, nous ne réagirons pas comme
Isaïe et Pierre. Plutôt que d’être accablés, nous reconnaîtrons Celui que nous avons
reçu. Amen
P. Louis Chasseriau