Chers Frères et Sœurs,
Connaissez-vous le point commun entre Pachelbel et saint Mathias ?
Les deux ne sont connus que pour un succès, et personne ne sait vraiment ce qu’ils
ont fait ensuite. Pachelbel a composé son fameux Canon, mais personne ne connaît
le reste de son œuvre. Quant à saint Mathias, c’est pareil, on le connaît pour avoir été
désigné comme successeur de Judas, mais personne ne sait rien non plus du reste de
son œuvre. L’Écriture et la Tradition sont totalement muettes à son sujet. C’est
curieux : pourquoi saint Luc commence à nous parler de Mathias si c’est pour ne rien
en dire ensuite ?
Sans doute parce que, l’Évangile n’étant pas un livre d’histoire, ce qui est intéressant
à nous transmettre n’est pas tant la vie de Mathias que la manière dont il est désigné.
L’épisode de cette désignation nous situe précisément dans la période que nous
vivons actuellement : entre l’Ascension et la Pentecôte. Ceux qui ont vu Jésus monter
au ciel sont dans l’attente de l’Esprit Saint. Et quelle est leur préoccupation ?
Reconstituer le groupe.
Les Apôtres ne sont plus que 11 et ça ne va pas. Le nombre 12 était très important :
il renvoyait aux 12 tribus d’Israël, c’est-à-dire à la totalité du peuple de Dieu. Si on
veut que ce groupe des Apôtres conserve son sens, il faut rétablir la douzaine, donc
trouver un successeur à Judas.
Le problème c’est : comment faire ? Jusque-là, c’est Jésus qui appelait. Mais il n’est
plus là. Pour la première fois, il va falloir poser un acte qui soit fidèle au Christ, sans
lui. Autrement dit, il va falloir poser un acte ecclésial. Nous, nous faisons ça tous les
jours, mais pour eux, c’est la première fois.
Attention, quand je dis que nous le faisons tous les jours, ça ne veut pas dire que c’est
facile. Voilà sans doute pourquoi saint Luc a voulu nous dire comment ça s’est
passé : pour que nous puissions bien comprendre ce qu’est l’Église, et poser des actes
ecclésiaux ajustés. Alors regardons-y de plus près.
Pour remplacer Judas, ils agissent en 2 étapes : tout d’abord « on en présenta deux »
parmi les 120 qui étaient présents ; ensuite, on tira au sort entre les deux.
D’abord, on en présente deux. Le texte grec dit littéralement « ils mirent en avant ».
C’est donc la communauté qui agit la première. Elle met en avant deux hommes,
Joseph et Mathias. Il y a un premier discernement qui se fait au sein du groupe pour
savoir qui serait la bonne personne pour prendre la suite de Judas.
Mais ce processus n’est pas suffisant. Les apôtres vont ensuite prier puis utiliser le
tirage au sort (qui est un moyen très connu et utilisé dans l’Antiquité).
Bon, aujourd’hui ce serait un peu curieux… vous imaginez que là, maintenant, pour
pourvoir au besoin d’un prêtre supplémentaire, on vous demande de mettre en avant
deux hommes célibataires de notre assemblée, puis que nous priions le Seigneur de
désigner celui qu’il voudra par tirage au sort ?
J’aimerai bien voir la tête des deux au moment du tirage au sort !
Ça nous paraît curieux, mais c’est à peu près ce qui se passe lors d’un Conclave. Pour
élire un Pape, les cardinaux prient et désignent par un vote. Et peut être élu tout
baptisé qui remplit les conditions pour devenir évêque. Donc aucun homme baptisé
célibataire n’est à l’abri d’être élu Pape. Ça ressemble donc vraiment à ce que nous
venons de lire.
Dans les deux cas il s’agit de trouver une manière de faire, une méthode, qui
permettra de laisser Dieu agir. Dans un cas c’est le tirage au sort, dans l’autre c’est
le vote. Mais surtout, dans les deux cas, c’est la prière et la dimension
communautaire.
Voilà un véritable enseignement pour nous. Le cœur du sujet n’est pas le mode de
scrutin, de savoir si l’Église est démocratique ou non. On entend parfois ce genre de
débat. L’unique question qui compte est : en Église, qui agit ? Nous ou le Seigneur ?
Et si c’est le Seigneur, est-ce à travers moi seul ou à travers la communauté ?
Quand j’exerce une mission en Église, est-ce que d’une part je prie le Seigneur pour
faire non pas ma volonté, mais la sienne ? Et d’autre part, est-ce que j’honore la
dimension ecclésiale, communautaire, du service que je rends ?
Au risque de vous choquer, dans l’Église, on ne s’intéresse pas d’abord à la volonté
de Sophie, de Bruno, du Père Louis ou du Pape François. La question primordiale
est de savoir si ces personnes-là se mettent à l’écoute du Seigneur pour faire sa
volonté à lui, si nous tous, ensemble, nous sommes suffisamment à l’écoute du
Seigneur pour faire la volonté qu’il a pour nous.
Et pour cela, il n’y a pas 36 solutions : il faut vivre en témoins de l’Évangile.
Regardez dans les Actes des Apôtres, c’est très intéressant : l’unique condition que
Pierre pose pour devenir successeur de Judas, c’est d’ « avoir partagé avec les onze
l’expérience de la vie publique de Jésus depuis le commencement » et ainsi, « être
témoin de la résurrection ». Aucune autre qualité, aucune vertu n’est requise.
Quelqu’un va devenir Apôtre sans aucune autre condition que d’avoir été témoin.
Ce qui est essentiel quand on agit pour l’Église, qu’on soit Pape ou bénévole en
paroisse, c’est d’être témoin de la résurrection, de servir dans la fidélité au Christ et
aux apôtres, et de s’en donner les moyens par une vie de prière et une vie
sacramentelle régulières.
C’est la condition pour que la barque de l’Église garde son cap.
Par l’intercession de saint Mathias et par l’eucharistie que nous célébrons,
demandons les forces pour que chacun de nous vive son ministère baptismal dans
cette fidélité. Amen.
P. Louis Chasseriau