Quand j’étais enfant, il y avait une chose qui ne me plaisait pas dans le monde des
adultes : à Noël ou aux anniversaires, ils n’avaient pas beaucoup de cadeaux, et qui
plus est, les cadeaux qu’ils recevaient n’avaient pas l’air très drôles.
Je ne crois pas être original en ayant pensé cela.
Et puis j’ai grandi. Je reçois moins de cadeaux que quand j’étais enfant, et ce n’est
pas un problème. Parce que j’ai découvert en grandissant que j’ai plus de joie quand
je donne que quand je reçois. Évidemment, un petit cadeau de temps en temps fait
plaisir. Mais il n’y a pas de mesure entre voir briller les yeux d’un enfant devant un
beau cadeau et bénéficier, soi, d’un cadeau. Les adultes que vous êtes doivent bien
me comprendre.
Ce que nous éprouvons comme adultes est en fait très logique. Dans l’ordre de la
Création comme dans nos vies, le don de Dieu est premier. Dieu a donné et à chaque
instant, Dieu donne le premier. Il commence par donner. Il ne fait que donner. Cela
veut dire deux choses :
– Qu’avant tout, comme ses enfants que nous sommes, nous recevons des
cadeaux de Dieu, pleins de cadeaux,
– Mais aussi que, créés à son image, nous nous accomplissons en donnant
comme Lui donne.
Nous trouvons notre véritable identité, donc notre vraie joie, quand nous donnons
comme Dieu donne. C’est très beau à dire, mais comment Dieu donne-t-il ? Que
devons-nous faire pour donner comme Dieu ?
Dans l’Évangile de ce jour, Jésus déclare : « si le grain de blé tombé en terre ne
meurt pas, il reste seul ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit. Qui aime sa vie
la perd ; qui s’en détache en ce monde la gardera pour la vie éternelle ».
Dieu donne en se donnant lui-même. Dieu donne en donnant sa vie.
Être chrétien, c’est faire l’expérience que c’est en donnant qu’on reçoit, c’est en
perdant qu’on gagne, c’est en mourant qu’on ressuscite.
Nous pouvons en faire l’expérience de manière très concrète. Un père de famille
me partageait cette semaine qu’il lui avait fallu accepter qu’une certaine relation à
ses fils meure pour que ses enfants puissent prendre leur envol et devenir adultes.
C’est toute l’expérience d’Abraham avec Isaac. Il a fallu qu’un grain de blé de cette
paternité meure pour qu’un fruit nouveau puisse naître.
Pour bien comprendre cela, saint Jean Paul II avait formulé ce qu’il appelait « la loi
du don ». Je crois vous en avoir déjà parlé.
« La vie est un bien reçu qui tend par nature à devenir un bien donné ». C’est ce
que je disais tout à l’heure. Nous commençons par recevoir puis devenons
pleinement nous-mêmes en donnant la vie que nous avons reçue. Notre vie est faite
pour être donnée.
C’est un point capital pour nous tous, évidemment, mais plus encore pour les
jeunes qui réfléchissent à ce qu’ils vont faire de leur vie.
La question n’est pas tellement : que vais-je faire de ma vie ? Comme si j’en
disposait tel un bien de consommation, mais : comment et pour qui vais-je donner
ma vie ?
Parce que si nous voulons être heureux, la question n’est pas de savoir si nous
allons nous donner, mais comment et pour qui nous allons le faire. Nous sommes
faits pour nous donner. Si nous ne nous donnons pas, si notre vie n’est pas, d’une
manière ou d’une autre, donnée à Dieu et aux autres, alors il y a peu de chances de
trouver le bonheur.
Vous comprenez, donner sa vie ne veut pas dire la brader ni la détruire. Ce n’est
pas ce que Dieu veut. Dieu désire que nous offrions notre vie, pour lui et pour les
autres, pour qu’elle porte un maximum de fruits. Donner sa vie n’est pas la détruire,
au contraire, c’est la faire fructifier.
Se donner. Mais à qui ? Parce que l’amour n’est pas une abstraction. Donner
quelque chose, c’est donner quelque chose à quelqu’un. L’expérience des cadeaux
nous le montre bien. Quand j’offre, c’est pour quelqu’un. Et ma vie, elle, à qui je
l’offre ?
Alors que nous allons bientôt entrer dans le temps de la Passion, dans ce temps au
cours duquel nous célébrerons le don que Jésus nous fait de sa vie, il est bon que
nous puissions nous interroger : comment et à qui j’offre ma vie ? Amen.
P. Louis Chasseriau