Chers Frères et Sœurs,
Quand je discute avec des personnes pas ou peu chrétienne, s’il y a bien un genre de
question auquel j’ai du mal à répondre, c’est celles du type : quand t’es chrétien, ça,
t’as le droit ou t’as pas le droit ? Et depuis que je suis prêtre, croyez-moi, ces
questions reviennent sans arrêt. Ces personnes voient le christianisme comme une
sorte de code pénal en matière morale et éthique.
Sur ces sujets, la foi chrétienne a plein de choses à dire, évidemment. Le problème
c’est que ce n’est pas en mode permis/défendu.
S’il y a bien une chose à crier au monde, c’est qu’en donnant sa vie, Dieu nous a
libéré de la morale moralisante des pharisiens, il nous a rendu libres !
Il ne nous a pas pour autant facilité la tâche… c’est plus simple quand on nous dit :
t’as le droit ou t’as pas le droit. Mais Jésus ne dit jamais ça. Dieu ne nous parle pas
sous ce mode-là. En partageant sa vie avec nous, Dieu nous a rendus capables de le
suivre par choix, non par contrainte.
Et pourtant, 2000 ans plus tard, ces questions d’une morale infantilisante sont
toujours là. À croire que la liberté chrétienne est encore trop révolutionnaire pour
notre monde.
Cette lettre à Philémon est un magnifique témoignage de cette liberté nouvelle, que
les premiers chrétiens éprouvaient profondément. Sans doute plus que nous
aujourd’hui.
Philémon est citoyen romain. Il habite à Colosses où il rencontre saint Paul. Les
discours enflammés de Paul le convertissent au christianisme et il devient chrétien.
Il est même un membre important de la communauté puisque sa maison sert à la
célébration de l’Eucharistie. Et oui, vers l’an 50, il n’y a pas encore d’églises.
Pour autant, toute la vie de Philémon n’a pas encore été bouleversée. Il a beau être
chrétien, il continue à vivre en romain. Il continue notamment à avoir des esclaves,
dont un qui s’appelle Onésime.
Mais voilà qu’Onésime s’enfuit de chez son maître. Ne sachant pas trop où aller, il
décide de rejoindre Paul, parti à Éphèse. Paul y est en prison et Onésime lui rend
visite.
Vous connaissez Paul, même en prison il ne perd aucune occasion d’évangéliser :
alors il parle de Jésus à Onésime comme il en a parlé à Philémon, et Onésime devient
chrétien à son tour. Même en prison, Paul le baptise.
Et Onésime, se sent profondément libéré par son baptême. Cette liberté n’est peut-
être pas légale (il est toujours un esclave en fuite), mais elle n’en est pas moins réelle.
Et cette liberté lui dit qu’il ne peut plus vivre en fuyard. Alors il décide de retourner
à Colosses, chez son maître Philémon. Mais il y retourne muni de cette lettre que
saint Paul adresse à Philémon et que nous avons entendu en 2e lecture. Cette lettre
est splendide. Elle dit la liberté que nous donne le Christ.
Vous avez entendu, Paul n’écrit pas à Philémon : tu es chrétien donc tu dois
affranchir Onésime. Il lui dit : accomplis ce qui est bien, non par contrainte, mais
volontiers.
Frères et sœurs, voilà en une phrase le résumé de ce que nous appelons la morale :
accomplis ce qui est bien, non par contrainte, mais volontiers. Dieu te dit ce qui est
bien, alors fais-le.
En fait c’est saint Paul qui a trouvé le slogan de Nike : Just do it. Tu sais ce qui est
bon : fais le, just do it. Dieu nous dit : je te dis ce qui est bien, alors fais le, mais ne
compte pas sur moi pour t’y contraindre. Engage la liberté que je t’ai donnée, mouille
toi, fais le bien.
Ça, ce n’est pas la logique d’un code pénal. C’est la logique de la liberté.
Et Paul ajoute : retrouve Onésime, non comme un esclave, mais comme un frère
bien-aimé.
Vivre en chrétien, c’est faire le bien parce qu’on aime. Parce que Philémon va aimer
Onésime en frère, alors il l’affranchira.
Vous comprenez : il ne l’affranchira pas sous le coup d’une loi religieuse qui interdit
l’esclavage, en mode permis/défendu. Il le fera parce qu’il va décider librement
d’aimer Onésime comme un frère et de faire ce qui est bien aux yeux de Dieu. À
partir de là, mais à partir de là seulement, la vie de Philémon commencera à vraiment
être bouleversée par l’Évangile.
Frères et sœurs, et nous… la liberté de l’Évangile a-t-elle vraiment commencé à
bouleverser notre vie ou est-elle encore trop révolutionnaire pour nous ?
Si j’arrêtais de raisonner en termes de permis et de défendu, si je laissais Dieu me
dire ce qui est bien et si je l’accomplissais vraiment, qu’est-ce que ça
bouleverserait dans ma vie ?
Ce qui changera le monde, frères et sœurs, ce n’est pas je ne sais quel nouveau plan
politique ou économique, aussi nécessaire soit-il. Ce qui changera le monde c’est
notre capacité à écouter Dieu et à faire le bien.
Mais préparez-vous. Écouter Dieu et faire le bien, ce n’est pas vivre d’amour et d’eau
fraîche. Jésus, ça l’a mené sur la croix. Mais cette croix, il l’a choisie librement. Il a
écouté Dieu et il a choisi de mourir pour notre bien.
Ça c’est la vraie liberté, c’est même le comble de la liberté.
Alors c’est sûr, ce n’est pas la liberté qu’on nous vend partout.
Aujourd’hui, on nous dit qu’être libre, c’est ne rien choisir définitivement pour
pouvoir toujours tout expérimenter. Je ne choisis rien, comme ça je pourrais toujours
faire ce que je veux : je suis en couple mais en couple libre comme ça on reste ouvert
aux opportunités, pas d’enfants parce qu’après on pourra plus faire ce qu’on veut,
pas de Dieu parce qu’il pourrait bien me dicter ce que j’ai à faire, etc, etc…
Mais ça c’est un simulacre de liberté ! Pire, ça empêche d’être libre, et à la longue,
de faire le bien.
La liberté ce n’est pas chercher à être ce qu’on désire être, puisque nos désirs n’ont
aucune limite et changent sans arrêt. La liberté, c’est de savoir qui je suis, de trouver
mon être propre et de le vivre à fond. C’est découvrir que je suis un enfant bien-aimé
de Dieu et le vivre, en faisant le bien. Just do it.
Amen.