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Christ Sauveur

5 novembre 2023 – Cathédrale Saint-Louis de La Rochelle

 

Chers frères et sœurs,
On me pose régulièrement la question : comment dois-je vous appeler ? Mon Père ?
Père Louis ? Louis ? Monsieur l’abbé ?… depuis quelques semaines, il y en a même
un qui s’amuse à m’appeler « Monsieur le recteur archiprêtre »… suivez mon
regard !
Et certains disent parfois : « Je ne vous appelle pas Père, parce que Jésus dit de ne
pas le faire », faisant référence à l’Évangile d’aujourd’hui qui semble, c’est vrai,
assez clair.
Alors il ne s’agit pas de vous dire comment m’appeler, faites comme bon vous
semble… enfin éviter quand même les surnoms.
La seule question pertinente, celle que Jésus soulève, est celle du sens d’un titre.
Dans cet Évangile, Jésus semble nous demander de cesser de nous appeler père,
maître ou rabbi (c’est-à-dire enseignant) car seul Dieu est le vrai Père, le vrai Maître,
le véritable Enseignant. Nous, dit-il, nous sommes tous frères.
Vous voyez que le problème ne concerne pas seulement les prêtres. Pourquoi appeler
ceux qui nous ont donner la vie « père » ou « mère » ? Pourquoi appeler « pape » le
successeur de Pierre ? C’est le même mot, ça veut dire père. Doit-on arrêter d’appeler
le notaire et l’avocat « Maître », le médecin « Docteur », pour finalement tous nous
appeler « mon frère » ou « ma sœur » ? Et les enfants doivent-ils arrêter d’appeler
leurs instituteurs « maître » et « maîtresse » et les appeler « frère » ou « sœur » ?
Nous percevons déjà qu’une lecture au 1er degré n’est sans doute pas la bonne.
Quel est le problème de Jésus ?
Il est face à des hommes qui abusent de leur titre. Ils enseignent, ils guident, ils
chargent les autres de règles qu’ils ne s’imposent pas à eux-mêmes. C’est cette
hypocrisie que Jésus dénonce. Il dénonce des titres qui sont utilisés pour la gloire
personnelle et non pour le service, car, dit-il : « Le plus grand parmi vous sera votre
serviteur ». Tout est là. Le but de Jésus est de les faire entrer dans un nouveau mode
de relation : servir plutôt qu’asservir.

Jésus rappelle alors que Dieu est le seul véritable Père, le seul Maître, le seul
Enseignant, et qu’à ce titre, nous n’avons aucune gloire personnelle à tirer d’une
paternité ou d’une science, parce qu’en fait, nos paternités ou nos savoirs s’originent
toujours en Dieu.
Alors que faire, concrètement ? Jésus nous met face à une difficulté de langage
redoutable. Personnellement, je ne vois que 2 options.
La première serait celle d’une lecture isolée de cet Évangile : retirer de notre langage
courant tous les attributs de Dieu pour les lui réserver. Il faudrait arrêter d’utiliser
pour des réalités terrestres les mots Père, Maître, Vérité, Amour, Vie, Pardon… tous
les mots qui disent Dieu.
Sauf que ça ne colle pas avec la logique de l’incarnation ! Par l’incarnation, Dieu se
révèle à nous avec notre langage. Il n’est venu ni nous interdire de parler, ni à
l’inverse nous apprendre un langage sacré, réservé à Dieu ! On disait « père » à son
papa avant que Jésus nous apprenne à nommer Dieu « notre Père ». Et c’est justement
à travers ce qu’on connaît de la paternité humaine qu’il nous dévoile la manière dont
Dieu nous aime. Donc Jésus ne nous interdit aucun usage, au contraire, il entre dans
notre langage, il s’en sert.
Frères et sœurs, pour comprendre l’Évangile de ce jour, il nous faut procéder comme
on doit toujours procéder avec l’Écriture : la contextualiser et la lire à la lumière de
l’ensemble de la Révélation.
Or quelle est une des premières choses que Dieu nous a révélé ? C’est qu’il nous a
créé à son image et nous appelle à sa ressemblance.
Donc ce que Dieu est, nous le sommes aussi, mais comme images. Ça veut dire que
nous pouvons bien utiliser tous les mots qui disent Dieu : Père, Maître, Enseignant,
mais uniquement sous forme d’analogie. Sinon nous nous prenons pour Dieu, comme
les scribes et les pharisiens de l’Évangile.
Quand j’appelle quelqu’un « mon père », que ce soit un prêtre ou mon père
biologique, je ne le prends pas pour Dieu qui est le seul vrai Père, mais je reconnais
que cet homme a vocation à être pour moi image du vrai Père. Je le reconnais et
l’aide même à se situer dans sa vocation.

Quand je dis que j’aime quelqu’un, je ne me prends pas pour Dieu qui seul est
Amour, mais je reconnais que j’ai vocation à aimer cette personne comme Dieu
l’aime. Je reconnais que je dois aimer comme image de Dieu.
Dieu seul est saint, et pourtant il nous appelle à être saint. Dieu seul est Père, et
pourtant il nous appelle à donner la vie. Dieu seul est Maître, et pourtant il nous
appelle à annoncer la Bonne Nouvelle. Dieu seul est amour, et pourtant il nous
appelle à aimer.
Jésus ne nous interdit pas d’utiliser notre langage et on peut bien continuer à
s’appeler Père, Maître ou Docteur. Par la leçon qu’il nous donne, Jésus veut nous
faire entrer dans un nouveau mode de relation qui est celle du service, contre celle
du pouvoir.
Si nous vivons en serviteurs, alors ces titres seront des trésors, parce qu’ils nous
situeront comme images de Dieu. Et ensemble, nous formerons le corps visible du
Christ, fait de tant de membres et de vocations différentes.
Mais si nous vivons dans le pouvoir plutôt que dans le service, ces mots seront un
poison, parce qu’ils nous feront nous prendre pour Dieu.
« Le plus grand parmi vous sera votre serviteur ».
Amen

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