24 décembre 2023, Cathédrale Saint-Louis de La Rochelle
Chers frères et sœurs,
Depuis plusieurs semaines, les rues et les vitrines sont remplies de lumières. Dans
tout La Rochelle, la fête se prépare. Mais quelle fête ? Je ne sais pas bien, c’est même
assez difficile à dire… Si je regarde devant cette cathédrale, la place de Verdun est
devenue la « Place des fêtes » et le thème de la fête annoncée est : « retomber en
enfance ».
Dans le même temps, depuis trois semaines, nous, chrétiens, avons fait un chemin
spirituel pour nous préparer à célébrer Noël, la fête de la Nativité, la fête de
l’Incarnation. Ce chemin a démarré au désert, là où tout avait commencé, là où Dieu
avait fait alliance avec son peuple. Jean-Baptiste nous y a annoncé le Sauveur qui
devait venir et cette nuit, le Sauveur vient. Ce n’est pas un Nième prophète, c’est
Dieu lui-même qui vient. Dieu, celui qui était avant le commencement du monde,
celui par qui tout a été fait, celui qui nous donne la vie. C’est lui qui cette nuit est
annoncé dans notre monde ! Chose incroyable…
… Et chose plus inimaginable encore, ce Dieu apparaît sous les traits d’un enfant.
Comment Dieu, si grand, pourrait-il se faire petit sans s’humilier ?
La voici la nuit dans laquelle Dieu abolit, par amour, l’abîme qui nous séparait de
lui. Dieu s’abaisse et nous rejoint sous les traits de l’enfance.
De tout côté donc, de la place des fêtes à notre foi, c’est l’esprit de notre enfance qui
est convoqué.
Mais ne nous trompons pas… Si notre enfance est convoquée, ce n’est pas parce que
le parfum du pain d’épices nous renvoie à des souvenirs du passé, mais parce que
nous accueillons cette nuit l’amour d’un Dieu qui est Père.
Jésus est le fils de Dieu et si nous nous tenons à ses côtés, nous nous découvrons fils
du même Père. Cet enfant nous révèle à nous-mêmes. Devant Dieu, nous sommes
enfants. Voyant l’enfant de Bethléem, nous nous tournons vers le Père et nous
découvrons enfants. Voilà la vie chrétienne : accueillir un Dieu qui est Père et se
redécouvrir enfant.
La ville de La Rochelle n’avait pas tort : il nous faut retomber en enfance. Cette nuit,
nous devons tous redevenir l’enfant que nous avons été, celui qui, comme les bergers,
se laissait illuminer, se laissait surprendre, était capable d’accueillir l’inattendu.
Chers amis, il nous faut accueillir la joie de Noël comme des enfants !
Il y a urgence. Notre monde a prétendu devenir adulte en se coupant de son Père. Cet
enfant de la crèche, en qui nous voyons notre grandeur, apparait à notre époque, à
notre monde, comme un adversaire de sa liberté. Alors certains veulent en retirer les
traces même si, manifestement, l’esprit d’enfance résiste, y compris chez ceux qui
prétendent penser l’homme à partir d’eux-mêmes et non plus à partir du Père.
Il y a urgence car « celui qui n’accueille pas le Royaume de Dieu à la manière d’un
enfant n’y entrera pas » (Mc 10,15), dit Jésus.
Nous ne pouvons pas accueillir cet enfant comme notre sauveur si nous ne nous
faisons pas enfant nous-même. Regardez un nourrisson, abandonné dans les bras de
ses parents, qui ne doute pas un instant qu’il sera nourri, aimé, relevé s’il tombe.
Dans l’enfant Jésus, Dieu nous montre ainsi que nous sommes fils, nourris, aimés,
relevés si nous tombons. En cette nuit de Noël, nous sommes sauvés si et seulement
si nous nous reconnaissons en cet enfant et acceptons de nous abandonner dans les
bras de notre Père sans douter de lui.
Regardez notre monde, violent, défiguré ! Il y a urgence ! Si nous retrouvons
l’enfance en reconnaissant Dieu comme notre Père, toutes ces horreurs peuvent
réellement s’arrêter ! Parce qu’un enfant est celui en qui toute espérance est ouverte,
tout chemin est possible. Si tous, nous acceptions de nous reconnaître enfants en cette
nuit, alors tous les chemins s’ouvriraient à nouveau : la morosité, la violence, la
guerre n’apparaitraient plus comme des fatalités. Vraiment, elles ne le seraient plus.
Frères et sœurs, convoquer l’enfance tout en rejetant Dieu le Père, comme nous
l’avons vu sur les places, c’est créer un monde d’orphelins pour qui l’espérance est
hypothéquée. Ne nous laissons pas voler notre espérance. Ne nous laissons pas voler
l’avenir. Ne nous laissons pas voler l’amour d’un Père qui nous donne sa paix.
Cette nuit, célébrons Noël en accueillant Jésus dans chacun de nos foyers, dans
chacune de nos vies, parce que c’est lui qui nous mène au Père et nous redonne notre
dignité de fils et de filles.
Si nous le faisons, cette nuit sera la nuit de l’espérance, la nuit qui laisse enfin
apparaître la lumière dans les ténèbres, non comme un répit, telle une nuit d’ivresse,
mais comme l’aube qui jaillit de nos nuits existentielles.
Laissons cet enfant prendre toute la place en nous. C’est le seul avenir possible pour
notre monde.
Amen