HOMÉLIE
18 et 19 décembre 2021, Sacré-Cœur de La Rochelle par le père Louis Chasseriau.
Chers frères et sœurs,
Imaginez qu’au repas de Noël, au moment de servir la bûche, votre fils ou votre petit-
fils vous demande : et toi, ton papy et ta mamie, comment ils se sont rencontrés ?
A supposer que vous connaissiez l’histoire de leur rencontre, vous aurez le choix
entre plusieurs manières de raconter ce qui s’est passé.
Vous pouvez prendre un regard extérieur, journalistique, sous le mode explicatif :
dans tel village, un soir d’été, au premier bal d’après la grande guerre, papy était
venu avec ses copains de régiment, et à la dernière danse, il a vu mamie qui était là,
il l’a invité à danser et ils ne se sont plus quittés. Ce sera factuellement vrai, mais ça
ne dira pas grand-chose de papy et mamie, de qui ils étaient.
Ou bien vous pouvez reconstituer la scène, en ajoutant des dialogues. Vous n’avez
pas été témoin de la scène. Mais votre grand-mère vous a raconté, alors vous allez
pouvoir reconstituer un dialogue qui ne sera pas historiquement exact, mais qui dira
la vérité de ce qui s’est passé dans le cœur de vos grands-parents.
Votre papy était un homme galant et parlant un beau français, alors vous direz qu’il
a invité votre grand-mère à danser en lui disant : « Mademoiselle, accepteriez-vous
de m’accorder cette dernière danse ? ». Et comme votre grand-mère était très timide,
vous ajouterez qu’elle baissa les yeux, n’osant répondre à ce beau jeune homme qui
rentrait de la guerre et qu’elle trouvait charmant.
Les dialogues ne seront peut-être pas exacts, mais vous pourrez dire à travers eux
quel genre de personnes étaient vos grands-parents. La vérité ne sera pas une vérité
factuelle mais une vérité de sens, toute aussi vraie, et qui donnera à toucher la vérité
des cœurs.
Dans le récit de la Visitation, c’est la même chose.
De cette scène de la Vierge Marie qui visite sa cousine Élisabeth, personne n’est
témoin. Saint Luc, qui la retranscrit, n’est pas sur place. Peut-être que des années
plus tard, la Vierge Marie, après la résurrection de son Fils, en a parlé à tel apôtre,
qui en a parlé à Luc. Mais surtout, à travers les mots que l’Esprit Saint lui inspire,
saint Luc nous dit bien plus qu’une description de la scène. Il nous révèle le sens de
ce qui se joue.
Qu’est-ce qui se joue dans la Visitation ?
Luc nous montre qu’à quelques jours de la naissance du Sauveur, l’humanité se tait.
Le silence se fait sur terre pour laisser Dieu prendre la parole. Nous entrons dans le
silence de la nuit d’où va surgir l’amour de Dieu.
L’Esprit de Dieu fait son entrée : « Alors, Élisabeth fut remplie de l’Esprit Saint et
s’écria…». C’est l’Esprit Saint qui prend la parole pour dire à Marie : « tu es bénie
entre toutes les femmes et le fruit de tes entrailles est bénie ». Tu es bénie, le fruit de
tes entrailles est béni… Marie aussi est remplie de l’Esprit Saint. C’est bien l’Esprit
qui parle, l’Esprit présent en Marie comme en Élisabeth.
Et avez-vous remarqué le contraste que Luc met entre Élisabeth qui « s’écrie »,
emplie de l’Esprit Saint, et le mutisme de Zacharie, son époux, condamné au
silence pour ne pas avoir cru ? Il y a celle qui croit et à travers laquelle Dieu parle, et
il y a celui qui n’a pas cru et qui est réduit au silence. À l’approche de la naissance
du Sauveur, Dieu parle et l’humanité se tait.
Plus subtile, Luc va chercher une phrase du livre de Judith (Jdt 13, 18-19). Quand il
fait dire à Élisabeth « tu es béni entre toutes les femmes », Luc reprend la parole que
le roi Ozias adresse à Judith qui rentre victorieuse du combat : « Bénie sois-tu, ma
fille, plus que toutes les femmes ». Luc reprend ces mots d’Ozias pour souligner que
Marie est la femme qui va assurer à l’humanité la victoire définitive sur le mal.
Sans entrer dans les détails, saint Luc a aussi caché dans la Visitation quantité de
références au récit du voyage de l’Arche de l’Alliance vers Jérusalem : les paroles
d’Élisabeth sont les mêmes que celles du roi David ; les deux voyages se déroulent
dans la même région ; Marie reste trois mois chez Élisabeth comme l’Arche reste
trois mois chez Oved-Edom ; Jean-Baptiste tressaille d’allégresse devant le Sauveur
comme David danse de joie devant l’Arche.
Toutes ces références que Luc glisse intentionnellement dans son récit sont là pour
affirmer que Marie est la nouvelle Arche de l’Alliance, elle porte Dieu qui se fait
présent parmi nous. Marie porte en elle cette présence de Dieu. La vérité de la
Visitation est d’abord là, en non dans une exactitude historique des dialogues.
Vous voyez, tous ces éléments font que le récit de la Visitation n’est pas un article
de journal qui nous relate la rencontre entre les deux cousines. C’est un récit qui nous
dit le sens de ce qui se joue, pour nous, pour l’humanité.
Et face à cela, la réponse est celle de la joie, l’allégresse de Jean-Baptiste, l’action de
grâce d’Élisabeth face à Marie qui porte le Salut de Dieu pour notre monde.
Frères et sœurs, je ne sais pas si vous avez remarqué que sur ce registre, la nouvelle
traduction de notre Missel est très parlante. Elle remet bien en valeur cette dimension
de l’action de grâce, notamment au début des préfaces eucharistiques : « il est juste
est bon pour ta gloire et notre salut, de t’offrir notre action de grâce ». Il n’est plus
seulement juste et bon de t’offrir notre action de grâce, mais il est juste de le faire
comme le fait Élisabeth, à la fois pour la gloire de Dieu, mais aussi pour notre Salut,
reconnaissant que Dieu vient à nous comme notre Sauveur.
De même, dans la 3e prière eucharistique, nous rendons grâce à Dieu, non plus
seulement parce qu’il nous a choisi pour servir en sa présence, mais parce qu’il nous
a estimés dignes de nous tenir devant lui pour le servir. Avant nous pouvions croire
que servir Dieu avait une dimension de rabaissement, comme un esclave sert son
maître. Mais non, la nouvelle traduction est bien plus limpide : nous sommes dignes
de nous tenir devant Dieu. Comme Élisabeth, nous sommes reconnaissants et notre
réponse à Dieu qui se donne est le don de notre vie dans le service, mais nous le
faisons debout, aimés par Dieu qui nous relève.
Frères et sœurs, le récit de la Visitation nous indique que la fin de l’Avent est proche.
Nous nous voilà désormais dans la dernière ligne droite, debout avec Élisabeth, dans
la joie et l’action de grâce, tressaillant avec Jean-Baptiste.
Dans cette dernière ligne droite qui nous sépare de Noël, laissons comme Élisabeth
l’Esprit Saint prendre sa place en nous pour, samedi prochain, croire en
l’accomplissement des paroles de l’ange.
Amen