Qu’est-ce qui me manque pour que ma foi soit vraiment solide, pour ne plus être
tiède, pour faire face au doute ? Peut-être que si j’assistais à un miracle, genre une
apparition mariale dans cette église ou un miracle eucharistique, là, c’est sûr, je ne
douterai plus !
Je me souviens, quand j’étais au collège, un garçon qui m’avait dit : si Dieu fait
apparaître maintenant une pièce de 10 francs sur cette table (oui, quand j’étais au
collège, on payait en francs), si Dieu fait apparaître 10 francs maintenant, alors j’y
croirai. Évidemment, aucune pièce n’était apparue, et il avait conclu : « tu vois,
Dieu n’existe pas ».
Dans les lectures que nous avons entendues, il y en a eu des miracles, et bien plus
grands que l’apparition d’une pièce de 10 francs.
D’abord, Pierre fait marcher un infirme dans le temple (Ac 3,1-12). Puis dans
l’Évangile, Jésus apparaît en chair et en os alors qu’il était mort.
Pour ceux qui ont vu ces miracles, la foi aurait dû s’imposer, comme pour ceux qui
ont vu la Vierge. Face à Jésus ressuscité, comment ne pas croire ?
Et pourtant… Nous voyons que Pierre dans la 1e lecture et Jésus dans l’Évangile
sont obligés de prendre la parole pour convaincre et expliquer.
Pierre se fait avocat, il plaide la cause de Jésus, comme pour obtenir la révision de
son procès. Vous savez, pour qu’un procès en révision soit ouvert, il faut apporter
la preuve d’un élément nouveau. Ici, Pierre met en avant la résurrection. Avec cet
élément nouveau, ils ne peuvent pas ne pas admettre que Jésus était bien le Sauveur
annoncé.
Quant à Jésus, lui aussi doit s’expliquer. Il doit prouver qu’il est bien présent en
chair et en os. Il dit : « Touchez-moi, regardez ! », puis il doit reprendre les
Écritures pour faire comprendre que tout ce qui s’est passé n’est pas insensé.
Pourquoi Pierre et Jésus doivent-ils plaider leur cause ? Pourquoi le miracle en lui-
même n’a pas suffi à provoquer la foi ?
Parce que la foi n’est pas une affaire de sentiments et que la réalité de Dieu ne
dépend pas de ce que l’on en éprouve. Il ne suffit pas d’être ébahi pour admettre.
La Vierge pourrait bien m’apparaître réellement, je pourrais bien être submergé par
une émotion intense, cela ne m’empêcherait pas de passer ma vie à remettre en
cause ce qui n’avait probablement été que le fruit de mon imagination.
Je peux bien ressentir plein de sentiments très forts dans ma prière, ce ne sont pas
nos émotions qui provoquent notre adhésion. C’est vrai que nous aimons ressentir
les choses. Au fond, nous sommes de grands sentimentaux ! Mais si nous faisons
dépendre notre foi de nos sentiments, attendons-nous à ce que cette foi soit très
aléatoire, comme nos sentiments qui par définitions sont passagers.
La foi, c’est autre chose, c’est une adhésion de tout notre être. La foi comporte
donc une part importante d’adhésion de notre intelligence (CEC 176), de notre
raison. C’est pour ça que Pierre et Jésus sont bien obligés de plaider, d’expliquer,
d’éclairer.
Pierre doit expliquer à ceux qui, je cite, ont « agi dans l’ignorance ». Jésus aussi
doit expliquer : « alors il ouvrit leur intelligence à la compréhension des
Écritures ». Sans la sollicitation de notre intelligence, l’acte de foi est impossible. Il
n’y a pas d’un côté la foi et d’un autre l’intelligence. La foi comprend en elle-
même l’assentiment de notre intelligence.
Attention, je ne dis pas qu’il faut avoir un gros QI pour être croyant, ou que les
croyants sont plus intelligents que les autres. Je ne parle pas de quantité
d’intelligence. Tout homme est doté d’une intelligence, et quelle que soit sa forme,
cette intelligence ne peut pas être étrangère à la foi parce que l’acte de foi est un
engagement de tout notre être. Dans les lectures d’aujourd’hui, Pierre et Jésus nous
appellent à puiser dans notre intelligence pour grandir dans la foi.
Cela implique une autre chose. Si le Christ en appelle à notre raison pour nous faire
grandir dans la foi, cela veut dire que la foi en lui est raisonnable. Non pas
prouvable en laboratoire, mais compatible avec la raison. Dit autrement, il n’est pas
fou de croire.
Là encore, nous pouvons être tentés d’isoler notre vie spirituelle du reste de notre
vie, comme s’il y avait d’un côté ce qui relève de la spiritualité et de la foi, avec
une logique propre, et de l’autre côté ce qui relève de la raison, de l’intelligence, de
la science, avec une logique propre. Mais non ! Dieu nous a créés comme des êtres
unifiés dans une réalité qui est une ! Si nous devions nous partitionner ainsi, cela
signifierait qu’il ne peut pas exister de vérité. Comme l’écrivait saint Jean Paul II
en ouverture de son encyclique Fides et Ratio : « La foi et la raison sont les deux
ailes qui permettent à l’esprit humain de s’élever vers la contemplation de la
vérité ». La vérité est une et la foi et la raison sont nécessaires pour la découvrir.
Frères et sœurs, comme le résume saint Augustin, il faut comprendre pour croire et
croire pour comprendre (sermon 43). Parce que plutôt qu’une religion, le
christianisme est une révélation. Dieu s’est donné à connaître, Dieu s’est donné à
comprendre, bien que notre intelligence ne puisse pas épuiser son mystère. Et c’est
de cette révélation, qui est première, que naît notre foi.
Alors ne plaçons pas notre foi hors du périmètre de notre intelligence. Interrogeons
la révélation, lisons l’Écriture, creusons-la, formons-nous, car c’est aussi là que
Dieu se révèle à nous et parce qu’il nous demande de pouvoir rendre compte de
notre espérance au monde. Amen.
P. Louis Chasseriau