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Christ Sauveur

5 et 6 mars 2022, Sacré-Cœur et Sainte Jeanne d’Arc

Chers frères et sœurs,
Depuis deux ans, il ne vous a pas échappé qu’un virus a pris énormément de place
dans notre vie collective. Nous avons en ce moment la sensation que les choses
s’améliorent, tant mieux. Plus qu’un dimanche avec le port du masque obligatoire
dans les églises ! Le 14 mars, je pourrai enfin découvrir vos visages.
Mais pendant ce temps, une autre maladie dont personne ne parle s’est développée.
Une maladie très ancienne a réapparu. Et sans avoir besoin de test PCR, je peux vous
dire que notre monde est contaminé et que chacun de nous, certainement, a contracté
cette maladie à un degré plus ou moins élevé.
Ah oui ! Cette maladie a une particularité : elle est spirituelle.
Voilà les symptômes : ça commence par une lente séparation d’avec Dieu. On
n’arrive plus à être en parfaite communion avec lui, on a du mal à parler de lui,
parfois on ne sait même plus très bien qui il est. On a l’impression de ne pas vraiment
le connaître. Et dans le même temps, on remplit son existence de choses sensibles et
matérielles.
Quand on est atteint de cette maladie, on vit dont en état de division intérieur. D’un
côté on a une dimension spirituelle mais qui s’amenuise, et d’un autre côté on se
passionne pour les choses sensibles qu’on peut posséder, et pour soi-même. La
possession devient un sentiment agréable dont on n’arrive plus à se passer.
Vous voyez, les symptômes sont assez généraux, et il existe beaucoup de
déclinaisons.
Cette maladie est aussi vieille que l’humanité. Beaucoup de Pères de l’Église en ont
parlé. Cette maladie, ils l’ont appelée : la philautie. Si vous voulez en savoir plus,
allez lire Maxime le Confesseur, c’est lui le grand spécialiste.
Et quand je vous dis que cette maladie a fait sa réapparition dans notre monde, j’en
veux pour preuve l’Évangile d’aujourd’hui, les tentations de Jésus au désert. Elles
correspondent exactement aux symptômes de la philautie que notre monde
contemporain a développé.

Jésus est d’abord soumis à la tentation de pouvoir sur les biens de ce monde. Dans
l’Évangile il s’agit de changer la pierre en pain ; aujourd’hui on veut la changer en
pétrole ou en lithium pour nos téléphones. On exploite la nature pour satisfaire nos
besoins à tout prix.
Puis il y a la tentation de pouvoir sur le monde. Dans l’Évangile il s’agit de maîtriser
la terre et les hommes ; aujourd’hui il n’y a plus besoin de regarder bien loin pour
voir des hommes envahir des pays et soumettre des populations.
Et enfin il y a la tentation de maîtriser la vie. Dans l’Évangile il s’agit de maîtriser sa
propre vie ; aujourd’hui, on va jusqu’à s’arroger le droit de disposer de la vie des
autres, de préférence les plus dépendants.
Vous voyez ? On commence par évacuer Dieu, puis on exerce son pouvoir sur les
choses, puis sur les autres, et finalement sur la vie elle-même.
Alors évidemment, comme pour toute maladie se pose la question du traitement. Et
bien bonne nouvelle ! On n’a pas de vaccin, mais on a un traitement. Pour dire la
vérité, le traitement est assez complexe, parce qu’il fait appel à pleins de remèdes
différents. Mais parmi ces remèdes, il y en a un principal : le jeûne.
C’est ce que propose Moïse dans la première lecture. Il demande qu’à chaque récolte,
on ne mange pas les prémices, les premiers fruits de la terre, mais qu’on les offre à
Dieu en les reconnaissant comme don de Dieu.
En s’obligeant à cela, l’homme hébreu évite de céder à la tentation de s’approprier
ces fruits de la terre, et d’entrer dans l’engrenage de la philautie.
C’est exactement ce que nous faisons pendant la messe, au moment de l’offertoire.
Nous présentons le pain et le vin à Dieu, nous lui présentons une offrande pécuniaire,
fruit de notre travail, non pas pour lui donner, mais pour lui rendre. Le prêtre dit :
« Nous avons reçu de ta bonté le pain (le vin) que nous te présentons ».
Venir à la messe et vivre l’offertoire, c’est déjà entamer le traitement contre la
philautie.
Parce que concrètement, quand je mange, je m’approprie, je porte à mon bénéfice le
fruit de la terre. Quand je consomme, quand j’achète, je prends pour moi le fruit du
travail des hommes. Ça n’a rien de malhonnête ! Dieu nous a même confié la création
pour ça, pour que nous la cultivions et en tirions les fruits. Mais si nous n’entretenons
pas en nous cette conscience que tout cela ne nous revient pas de droit, mais est un

don de Dieu, alors ça risque de nous séparer de lui. C’est ça la logique de la philautie.
D’où l’importance de bénir le repas, de dire les grâces, de jeûner. Ce ne sont pas des
vestiges d’un christianisme désuet. Ce sont des règles de vie éprouvés par des
générations qui ont fait l’expérience qu’elles nous aidaient à ne pas nous séparer de
Dieu.
À l’inverse, quand je jeûne, je prends conscience que, ce que je fais mien de manière
habituelle, ce n’est pas à moi de droit. Les fruits de la terre sont d’abord des dons de
Dieu. Et ne pas me les approprier pour les lui rendre est une chose juste. C’est ça le
jeûne. C’est dire à Dieu : ce que je m’approprie instinctivement, je reconnais que
c’est à toi, et aujourd’hui, je ne me l’approprierai pas, je te demande même que ce
don profite à d’autres. Aujourd’hui, cette part ne sera pas pour moi, mais pour
d’autres.
Et alors on peut donner cette part matériellement à d’autres, par un don. Ou on peut
demander à Dieu que le fruit spirituel de cette privation bénéficie à d’autres.
Frères et sœurs, pendant ce carême, nous aurons la joie de retirer ces masques. Mais
ne nous trompons pas de combat. Sans vouloir minimiser le Covid, il est urgent que
nous prenions au sérieux notre infection à la philautie, notre séparation d’avec Dieu
qui entraîne un rapport mal ajusté aux choses et aux autres.
Que ce carême soit l’occasion de faire l’expérience heureuse du jeûne comme une
sagesse de vie éprouvée qui nous rapproche du Seigneur.
Amen
Père Louis Chasseriau

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