À quoi reconnaît-on un catho ? Imaginez que vous rencontriez quelqu’un, un
nouveau collègue par exemple, qu’est-ce qui vous fera dire : « lui, il y a des
chances que je le croise dimanche à la cathédrale ! » ? Le monospace et le nombre
d’enfants à l’arrière ? Les chaussures bateau ? Le chapelet qui dépasse discrètement
de la poche ? C’est possible.
Mais le seul signe distinctif que Jésus a donné à ceux qui le suivent, c’est l’amour
qu’ils ont les uns pour les autres. Dans l’Évangile, Jésus nous commande de nous
aimer comme il nous a aimé.
Donc il n’est pas d’abord question de code vestimentaire mais d’une manière d’être
en relation les uns avec les autres, une manière de nous aimer.
D’un coup, là, on sent que c’est moins facile… parce que c’est quoi cet amour-là ?
Comment faire pour nous aimer comme Jésus nous a aimé ?
Pour répondre, on peut commencer par dire ce que cet amour n’est pas. C’est
souvent plus facile de procéder comme ça.
D’abord, cet amour n’est pas un sentiment. Les sentiments, c’est beau mais ça ne
suffit pas. Les sentiments évoluent, ils fluctuent, ils ne sont pas une base solide
puisqu’ils bougent tout le temps. D’ailleurs, quand Jésus nous demande d’aimer
nos ennemis, on comprend bien que ce n’est pas affaire de sentiments. Je ne peux
pas éprouver un sentiment d’amour pour un ennemi. C’est absurde.
Cet amour n’est donc pas non plus une inclination naturelle. On n’aime pas
naturellement nos ennemis. Cette capacité à aimer comme le Christ, ne s’exprime
pas de manière instinctive chez l’homme.
Cet amour dont nous devons nous aimer les uns les autres, c’est donc autre chose.
Et l’Évangile nous montre ce qu’il est.
Nous sommes à la fin du dernier repas. Jésus parle à ses apôtres et leur donne son
testament spirituel. C’est la fin, alors Jésus leur dit les choses essentielles, les
dernières recommandations. C’est précieux ça ! Imaginez-vous, vous accompagnez
un ami dans ces derniers jours, et il vous dit son essentiel, ce qu’il avait à vous dire.
Et bien c’est ça que nous entendons dans l’Évangile.
Jésus dit l’essentiel à ses apôtres et leur montre : c’est le lavement des pieds.
L’amour qu’il nous demande d’avoir les uns pour les autres, c’est un amour de
service. Laver les pieds de l’autre, même de l’ennemi, n’est ni naturel, ni un
sentiment. C’est un service. C’est s’agenouiller devant l’autre, parce qu’il est image
de Dieu, parce qu’il a une dignité inaliénable, quoi qu’il fasse. S’agenouiller devant
l’autre et se mettre à son service.
« Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime »
nous dit Jésus. Voilà la mise en pratique ultime de cet amour de service.
S’agenouiller, se donner, donner sa vie. Nous devons nous donner les uns aux
autres, nous servir les uns les autres.
« Je vous ai choisi », dit Jésus. Cet amour est aussi un amour choisi. Dieu n’est pas
venu en ce monde parce qu’il avait des sentiments pour nous, mais parce qu’il nous
a choisi. Aimer comme Dieu est donc un choix, une décision, pas une émotion. Je
peux choisir d’aimer.
Dans les actes des apôtres, on en voit une très belle mise en pratique. Dieu a choisi
Corneille, un païen, et l’Esprit Saint est descendu sur lui. Dieu choisit. Et Pierre a
servi Corneille en lui donnant le baptême. Dieu choisit Corneille, et Pierre sert
Corneille parce Pierre a d’abord choisi le Christ.
Si je choisis d’aimer le Christ, alors j’en viendrai à aimer comme lui, à servir mes
frères, à donner ma vie. Ça va ensemble.
Nous serons reconnus par l’amour que nous aurons les uns pour les autres si et
seulement si, en premier lieu, chacun de nous choisit le Christ.
Frères et sœurs, Dieu est venu partager notre vie pour que nous partagions la
sienne. Puisque nous sommes chrétiens, nous partageons la vie de Dieu. Or Dieu
est Trinité, il est relation et altérité en lui-même. Alors notre manière d’être en
relation aussi en est marquée.
Être chrétien n’est pas être adepte d’une religion fondée par Jésus et qui aurait ses
propres codes. Jésus n’a fondé aucune religion ; il a fondé l’Église, c’est-à-dire la
continuité terrestre de sa réalité divine.
Ainsi, être chrétien, c’est vivre la continuité du Christ, c’est décider de suivre Jésus
en adoptant un nouveau regard sur le monde et une manière d’être, un style de vie
reconnaissable au-delà des âges, des cultures ou des genres.
Parce que nous sommes des occidentaux, héritiers d’une société chrétienne, nous ne
nous rendons sans doute plus compte à quel point la foi trinitaire a modifié les
relations, la manière même de penser ce qu’est une personne, sa dignité, son
unicité. Dans l’Empire Romain, ou aujourd’hui en Chine, au Japon, ou dans
d’autres cultures non chrétiennes, on ne pense pas la personne de la même manière,
on ne pense pas la relation de la même manière. Et de plus en plus, notre société
sécularisée ne pense plus la personne ni les relations de la même manière.
Aujourd’hui, la relation est plutôt un échange de biens et de services, alors que
pour les chrétiens elle est reconnaissance mutuelle de liberté, de dignité, d’identité
et de différences. Aujourd’hui en occident, la manière chrétienne d’être en relation
devrait apparaître à nouveau comme une révolution pour notre monde.
Ce qui nous fera reconnaître, c’est ce qui fera reconnaître le Christ à travers nous :
un amour choisi, un amour au service, des vies accomplies parce que données.
Amen
P. Louis Chasseriau