Chers frères et sœurs,
Nous sommes parfois restés de grands enfants. Et quand arrive l’heure du dessert,
cette âme d’enfant peut faire que, le gâteau arrivant sur la table, on repère la part la
plus grosse, celle qu’on veut pour soi.
Pire, quand notre hôte, plutôt que d’acheter un gâteau en a pris plusieurs petits. Et il
n’y a qu’une seule tartelette au citron… la meilleure part.
Normalement, en grandissant, on apprend à mieux gérer la frustration. Si cette part
revient à un autre ce n’est pas grave. Mieux, on apprend le bonheur qu’il y a à faire
plaisir : si cette part fait plaisir à quelqu’un d’autre, je lui laisse volontiers, je suis
heureux qu’elle bénéficie à un autre que moi. Ça paraît tout à fait chrétien comme
attitude. Et ça l’est vraiment.
Pourtant, dans l’Évangile de Marthe et Marie, Jésus ne dit pas ça du tout !
Marie a pris pour elle la meilleure part et Jésus ne lui dit ni « partage », ni « laisse
cette part à Marthe qui en a plus besoin que toi ». Il dit : « elle a choisi la meilleure
part, elle ne lui sera pas enlevée ».
C’est comme si je m’étais jeté sur le dessert et que Jésus avait dit : ne vous agitez
pas, il a choisi la meilleure part, elle ne lui sera pas enlevée.
Vous voyez, avec la foi, ce n’est pas la logique de la tartelette au citron qui s’applique
(un seul aura la meilleure part), mais c’est la logique de la multiplication des pains :
la meilleure part, tout le monde peut l’avoir, il suffit de la choisir. Il y en aura toujours
pour tout le monde. S’il n’y a qu’une tartelette et que tout le monde la veut, et bien
que tous la prennent et tout le monde en aura. Marie a choisi la meilleure part, mais
ça n’empêche par Marthe de choisir cette part elle aussi.
Dans cet évangile, nous avons souvent tendance à opposer Marthe, l’active, et Marie,
la contemplative, en concluant que pour Jésus, mieux vaut être contemplatif qu’actif.
En fait, ce n’est pas vraiment ce que dit Jésus.
Marthe et Marie mettent toutes les deux leur talent pour recevoir du mieux possible
Jésus, avec ce qu’elles sont. Et gérer l’intendance comme le fait Marthe, c’est un
véritable dévouement, un cadeau qu’elle fait à celui qu’elle reçoit. Et remarquez que
Jésus ne lui reproche absolument pas de se dévouer ainsi ! Il ne lui reproche rien.
Marthe entre tout à fait dans cette belle tradition juive de bien recevoir pour faire
honneur à celui qu’on accueil. Dans la première lecture, Abraham et Sara font tout
pour bien accueillir leurs visiteurs.
Dieu lui-même, dans la parabole du Fils Prodigue, fait tuer le veau gras quand il
retrouve son fils.
Il est donc tout à fait bon que Marthe fasse tout pour bien recevoir Jésus. Le problème
n’est pas là. Le problème est : comment le fait-elle ? Jésus ne lui reproche pas de
bien recevoir, il lui reproche son souci et son agitation, ce qui n’est pas la même
chose.
Chacun de nous, quel que soit son état de vie, son ministère dans l’Église, peut,
comme Marthe, se perdre dans le service de Dieu, au point même, parfois, d’en
oublier sa relation avec lui.
Combien d’entre nous peuvent se dire : pour Jésus, je m’occupe de ceci, de cela, je
suis bénévole ici, je suis bénévole là, mais oublient de se poser aux pieds de Jésus.
C’est très bien de faire des choses pour Dieu, mais à condition de les faire avec lui.
C’est très bien de faire, mais tant qu’on cherche Dieu. C’est très bien de faire, tant
que je me tiens, non pas dans la cuisine, loin de Jésus, mais avec lui, à ses pieds, à
l’écouter, à le chercher toujours. Sinon, ce n’est que de l’occupation, ce n’est pas la
vie chrétienne.
La vie chrétienne, c’est chercher Dieu, vivre collé à lui et se mettre à son écoute.
Parce que Dieu et sa Parole sont éternels, alors que tout le reste nous sera enlevé.
L’histoire de Marthe et Marie n’est pas un match entre contemplation et apostolat.
C’est une leçon qui nous dit que quoi que nous fassions, nous devons le faire en
demeurant avec Dieu, en le cherchant, en l’écoutant.
Le sujet c’est celui de l’attitude fondamentale du chrétien. Et bien Jésus nous l’a dit :
notre premier devoir, c’est la louange, c’est contempler Dieu pour ce qu’il est et nous
mettre à son écoute. Voilà ce que Dieu attend de nous avant toute autre chose.
Vous souvenez-vous de la première homélie du Pape François, juste après son
élection, en mars 2013 ?
Il nous avait tous marqué en expliquant qu’être chrétien c’est être avec le Christ et
porter sa croix avec lui, sinon l’Église ne sera qu’une ONG.
On entend parfois que la foi n’aurait pas de sens si elle ne se traduisait pas
concrètement par des actes au profit des autres. C’est faux ! La foi, c’est d’abord la
contemplation de Dieu qui se révèle à moi, dans ma vie. La foi c’est accueillir Dieu,
le louer et le suivre. Ce qui compte, c’est cet acte-là, qui est au bénéfice de Dieu lui-
même.
Si cela est en place, n’ayons aucune inquiétude, les actes de charité au profit des
frères se mettront en place naturellement.
Le problème, c’est que l’inverse n’est pas vrai. Si je m’active au profit des autres
sans me mettre aux pieds de Jésus, sans le rechercher en toute chose, alors ma charité
ne sera pas celle de Dieu, ce sera la mienne. Ce n’est pas lui que j’annoncerai, mais
c’est moi.
Frères et Sœurs, profitons de ce temps que les vacances nous offrent. Les vacances
nous libèrent de beaucoup d’obligations. Elles nous permettent bien plus facilement
de quitter la cuisine de Marthe, pour rejoindre Marie aux pieds de Jésus. Prenons ce
temps-là, goûtons ce temps-là, car c’est bien la meilleure part.
Amen