Chers frères et sœurs,
Quand on éduque un enfant, une des premières choses qu’on lui apprend, c’est à dire
merci. Quand des parents donnent quelque chose à leur nourrisson, ils lui
demandent : « qu’est-ce qu’on dit ? » On dit merci.
Tous les parents font ça.
Et bien c’est quand même incroyable que dans l’Évangile, seul un lépreux sur dix
revient dire merci ! Un seul ! Tous ont été guéris, mais un seul a été reconnaissant :
et en plus c’est le Samaritain. C’est l’étranger, le non-juif, celui qui habituellement
ne suit pas les règles.
Les neufs autres, tous juifs, ne sont pas revenus remercier Jésus.
Je ne vois que deux solutions : soit ils sont tous mal élevés, soit l’affaire est un peu
plus compliquée qu’il n’y paraît. Je vous propose de partir sur la 2e solution, plutôt
que d’accuser un peu trop vite les parents de ces neufs juifs de les avoir mal élevés.
Le contexte de cet épisode nous est expliqué dans l’Ancien Testament, dans le livre
du Lévitique. Pour faire court, quand un juif était contaminé par la lèpre, il devait
être examiné par les autorités religieuses puis déclaré officiellement impur. C’est à
partir de cette déclaration officielle par un prêtre que sa nouvelle situation sociale
était réglée. Il devenait par exemple interdit de contact avec la population et mis en
dehors de la ville. Quand une personne arrivait vers lui, il devait se couvrir le visage
et crier : « impur ! impur ! » pour dire qu’il était contagieux.
Si donc c’est un prêtre qui examine le malade pour le déclarer impur, seul un prêtre
peut de nouveau l’examiner pour constater la guérison, et le déclarer pur.
La demande de Jésus est donc tout à fait logique : « allez vous montrer aux prêtres ».
C’est-à-dire, retournez voir ceux qui vous ont déclaré impurs pour leur faire constater
votre guérison.
Sauf que quand Jésus leur dit ça, ils ne sont absolument pas guéris ! Ce sont des
lépreux. Il leur faut donc une bonne dose de confiance à ces lépreux pour aller voir
les prêtres. Cet ordre de Jésus, ce n’est qu’une promesse de guérison : allez-y, allez
les voir, vous verrez, quand vous arriverez au Temple, vous serez guéris. Il faut
quand même y croire ! Et bien eux, ils y vont.
Ça change déjà notre compréhension de la scène ! Les neuf juifs ne sont pas d’affreux
ingrats. Ce sont d’abord des hommes qui font preuve d’une grande confiance en
Jésus. Ils le croient sur parole. Et ce sont de bons juifs, parce qu’ils respectent la loi,
ils vont voir les prêtres du Temple. Et parce qu’ils y vont, parce qu’ils ont foi en la
parole de Jésus, ils sont guéris. Leur confiance dans la parole de Jésus et leur
obéissance à la loi de Moïse les guérit de leur maladie.
Mais le Samaritain, lui, n’est pas juif. Il n’est pas soumis à cette loi de Moïse. Il
pourrait bien aller voir les prêtres comme Jésus le demande, que sans doute il ne
serait même pas reçu. On n’a jamais vu un Samaritain entrer dans le Temple de
Jérusalem.
Alors de fait, il est bien plus libre. Quand, sur la route du Temple, les dix se trouvent
guéris, les juifs, eux, doivent aller au Temple, mais le Samaritain, lui, n’a rien à y
faire. Il n’est pas contraint par la loi de continuer jusqu’au Temple. Il a deux
solutions : rentrer chez lui ou revenir sur ses pas pour rendre grâce au Seigneur.
Frères et sœurs, les neuf juifs ont été guéris par leur confiance dans la Parole du
Seigneur. Le Samaritain sera sauvé par sa foi dans le Seigneur, la foi d’un homme
libre. Seule la foi sauve.
Voilà ce que cette histoire nous enseigne : il y a la guérison qu’apporte le respect de
la loi, et il y a le Salut qu’apporte la foi. Seule notre conversion et notre foi en Jésus
nous sauvent.
Ces neufs juifs étaient appelés à passer de la loi à la foi, du Temple au Christ. Jésus
les appelaient à se retourner, se convertir. Ils ne l’ont pas fait à ce moment-là.
Le Samaritain, lui, n’avait que sa foi. Sa situation d’exclusion devenait une situation
favorable pour revenir sur ses pas, c’est-à-dire, littéralement, pour se convertir. Il
était libre parce qu’il était étranger. Là, nous pouvons comprendre un peu mieux
pourquoi Jésus dit que la pauvreté aide au Salut. Quand on n’a plus rien comme le
Samaritain, alors il n’y a plus rien à abandonner pour retourner voir le Christ.
À travers la figure du Samaritain, Jésus nous rappelle que la vie chrétienne, ce n’est
pas l’accomplissement de telle ou telle consigne. La vie chrétienne, c’est être pauvre,
c’est être libre, pour avoir la possibilité de se convertir et faire alliance avec le Christ.
Un chrétien ne se tourne plus vers le Temple. Il se retourne vers Jésus lui-même.
Dans la première lecture, Naaman, qui lui aussi a été purifié, pensait pouvoir être
quitte en offrant un cadeau en retour de sa guérison. Il est encore dans le donnant-
donnant, la logique du Talion, œil pour œil, en mode positif. Tu m’as guéri, je t’offre
un cadeau. Et puis il finit par comprendre que ce n’est pas comme ça que ça marche
avec Dieu. La seule réponse à lui donner en retour de son amour, c’est notre vie, et
pas le respect de règles, que ce soit par politesse ou par piété.
Le risque avec ça, ce serait de croire que le christianisme est une religion pour
paresseux, voire pour impies ! Je n’ai aucune obligation, aucune loi, je vis ma petite
vie avec Jésus sans aucune obligation et tout va bien. Non ! Certes il ne s’agit plus
d’entrer dans un système de règles, dans un cadre d’où rien ne dépasse. Mais il s’agit
désormais de nous donner tout entier à Jésus par amour pour lui.
Chers frères et sœurs, dépouillons-nous de tout ce qui nous empêche encore de nous
retourner vers Jésus, convertissons-nous. C’est la seule chose qu’il nous demande,
c’est la plus belle mais c’est aussi la plus engageante.
Amen