Chers frères et sœurs,
Il y a quelques semaines, ma cuisine a été envahie par des fourmis. Dans ces cas-là,
il faut bien faire quelque chose avant qu’elles atteignent votre boîte à gâteaux
préférés, même si c’est assez fascinant de les observer. En les regardant, je me
demandais si elles se reconnaissaient entre elles. Pour moi, elles étaient toutes
semblables.
Je suis allé lire sur le sujet, et oui, les fourmis d’une même colonie se reconnaissent
entre elles parce qu’elles partagent un bouquet d’odeurs qui leur est propre. Elles
utilisent leurs phéromones pour se reconnaître dans une même colonie, et pour
communiquer, par exemple sur un danger, pour se prévenir du piège que j’ai mis
devant ma boîte à gâteaux.
Nous, êtres humains, n’avons pas besoin de phéromones pour nous reconnaître, mais
nous nous reconnaissons entre nous, c’es évident, avec nos similitudes et nos
différences. Nous avons plusieurs cultures, plusieurs couleurs de peaux, mais une
humanité commune. Nous sommes faits d’une même humanité que partagent le plus
grand des saints et la pire des crapules.
Dans le récit de la Genèse, la chose va même plus loin. Nous ne partageons pas
seulement une même humanité. Ce que les êtres humains ont en commun et qui les
différencie de tout le règne animal et végétal, c’est qu’ils portent en eux l’image de
Dieu. Les hommes ne sont pas seulement humains, ils sont également images du
divin, images de leur créateur.
Alors l’expression est belle, certes… mais concrètement, puisque Dieu, personne ne
l’a jamais vu (Jn 1,18), il est compliqué de savoir ce qui, en nous, serait proprement
humain, et ce qui, en nous, serait image de Dieu.
Si nous étudions de prêt le texte biblique, nous pouvons comprendre que ce qui, en
nous, est image de Dieu, c’est n’est le fait d’avoir deux bras et deux jambes, mais le
fait d’être des êtres de relation, de nous découvrir et de nous accomplir au contact de
l’altérité, entre nous et avec Dieu. Nous sommes également images de Dieu dans le
fait de participer à la création, de devoir exercer sur elle une domination non-violente.
Vous comprenez qu’être image de Dieu, c’est quelque chose que nous avons en nous,
que nous portons, mais qui peut aussi s’effacer, comme une photo ancienne qui petit
à petit blanchit. Si je ne suis pas dans une relation d’amour avec mon prochain, si je
ne m’ouvre pas à l’altérité, si j’exerce une domination par le pouvoir et la violence
plutôt que par le service, alors l’image de Dieu en moi s’estompe, jusqu’à devenir
quasi-invisible.
Frères et sœurs, l’Évangile d’aujourd’hui est dur à entre. Dieu refuse l’entrée dans
son Royaume aux insouciantes, sous prétexte qu’il ne les connaîtrait pas… c’est rude.
Dieu est père. Un père connait ses enfants. Quel père qui a élevé ses enfants dans
l’amour pourrait prétendre ne pas les connaître ? Où donc est la miséricorde de
Dieu ? Ce « je ne vous connais pas » résonne comme une porte qui peut nous être
claquée au nez. Comment comprendre cette parabole ?
Imaginez un père qui est réveillé par un coup de fil de la police. On lui demande de
venir au poste parce que son fils, insouciant, a été arrêté. Disons qu’il a braqué une
grand-mère. Le père se dit… ce n’est pas possible ! Mon enfant, si gentil, qui aime
tellement sa propre grand-mère, celui qui hier encore jouait au foot avec son petit
frère n’a pas pu faire ça… il y a forcément une erreur. Il arrive au poste et voit qu’il
s’agit bien de son fils. Le père ne pourra-t-il pas dire à son fils : « je ne te reconnais
pas » ? Comment tout ce que je t’ai donné a-t-il pu disparaître au point que tu sois
capable d’un tel acte ? Avec le temps, ce qu’il y avait d’image du père dans le fils
s’est estompé.
Le père ne reconnait plus le fils, parce qu’il n’y voit plus sa propre image. Il reconnait
son fils, bien sûr, mais ce fils a perdu l’odeur du père. Il n’est plus de la même
colonie.
Frères et sœurs, cette parabole nous apprend quelque chose sur la manière dont Dieu
nous connaît. Dieu ne nous connaît pas comme nous connaissons des participants
d’une télé-réalité, à nous scruter dans nos moindres faits et gestes. Dieu ne nous
regarde pas avec des caméras de vidéosurveillance.
Dieu nous connaît et nous reconnaît par son identité qu’il a mise en nous. Si, quand
nous le verrons face à face, il ne trouve en nous aucune trace de sa propre image, si
nous ne sentons pas le divin, comme pourrait-il nous reconnaître comme ses
créatures ?
Alors l’entrée du Royaume de Dieu ne sera pas pour nous. Nous en aurons perdu la
citoyenneté, comme les insouciantes ont perdu toute leur huile. Cette huile n’est pas
quelque chose qui se refile de la main à la main, comme elles semblent le croire en
demandant de l’huile aux prévoyantes.
L’image de Dieu, on ne l’achète pas : chacun la reçoit de Dieu comme un don qui lui
est fait personnellement, puis chacun en vit selon ce qu’il est, chacun la cultive, par
une vie de relation, de foi, d’espérance et de charité.
Alors, quand l’époux arrivera, nous le reconnaîtrons, parce que nous serons
semblables à lui, unis par la même odeur divine, l’odeur de la sainteté.
Amen